Covid-19 : un récepteur cellulaire au centre de toutes les attentions

ACE2 est une protéine clé dans la physiologie du Covid-19, nécessaire à l’entrée du virus SARS-CoV‑2 dans les cellules de l’hôte. De cette première interaction découleraient plusieurs implications cliniques, avec notamment des conséquences sur le fonctionnement du système cardiovasculaire, mais pas que...

Pour infecter son hôte, le virus SARS-CoV‑2 s’attache à une protéine présente à la surface des cellules, notamment pulmonaires : le récepteur ACE2. Or, ce dernier est impliqué dans la régulation de certaines fonctions cardiovasculaires, pulmonaires et rénales. Il est notamment situé au cœur d’un mécanisme de régulation de la pression artérielle, le système rénine/angiotensine/aldostérone (SRAA). Il conduit à la production de l’angiotensine 1–7, qui exerce des fonctions opposées à l’angiotensine II (produite quant à elle par une autre enzyme, l’ACE) : la première favorise notamment la dilatation des petits vaisseaux (vasodilatation) tandis que la seconde est plutôt vasoconstrictrice. Ces deux molécules interagissent au sein d’une « balance » physiologiquement équilibrée, mais qui peut pencher d’un côté ou de l’autre dans des conditions pathologiques. 

Lorsque le virus interagit avec ce récepteur, la balance entre vasoconstriction et vasodilatation serait modifiée. De ce point de départ, découleraient différentes conséquences cliniques observées au cours de l’infection par le nouveau coronavirus. Un article récent, qui propose un tour d’horizon de ces différentes implications, illustre pleinement la complexité qui découle de cette première interaction « virus-hôte ». Ces différentes hypothèses ou associations doivent désormais être explorées. 

Hypertension, diabète, obésité : ces pathologies favorisant les formes graves

« En se fixant au récepteur, le virus pourrait déséquilibrer le système SRAA en favorisant les effets négatifs de l’angiotensine II, non équilibrée par l’angiotensine 1–7, explique Marco Alifano*. Or, chez les personnes hypertendues, comme chez les personnes diabétiques et celles souffrant d’obésité, le système SRAA est déjà déséquilibré. Le virus pourrait renforcer le phénomène, et favoriser le développement de complications. » Le récepteur pourrait également participer à certaines des complications observées dans les formes graves de Covid-19 – comme l’apparition de lésions vasculaires et myocardiques. 

Il semble désormais établi que, dans les phases avancées de l’infection, ce n’est plus la charge virale elle-même mais l’emballement de l’inflammation et les conséquences biologiques de cette dernière qui expliquent la gravité de certains cas de Covid-19. Le taux important de patients hypertendus parmi ceux qui développent une forme sévère de l’infection avait par ailleurs conduit à émettre l’hypothèse d’une action négative de certains médicaments antihypertenseurs, notamment ceux qui interférent avec l’ACE ou le récepteur de l’angiotensine II : ces deux types de médicaments entraînent en effet une augmentation de l’expression de l’ACE2. « Il faut considérer un possible double impact : une augmentation de l’expression d’ACE2 favorise peut-être l’infection, mais si sa fonction est conservée, elle peut aussi favoriser un tableau clinique moins grave de la maladie. C’est probablement le côté vers lequel penche la balance du SRAA qui détermine l’évolution de la maladie, au moins en partie. Les inhibiteurs de l’angiotensine II pourraient dans ce contexte être utiles dans les formes sévères de maladie, de même que l’administration d’angiotensine 1–7 : ces deux stratégies visent à rétablir cet équilibre. »

Les femmes, mieux protégées ?

Cet équilibre pourrait aussi expliquer en partie la relative protection des femmes vis-à-vis des formes graves du Covid-19. Les connaissances en biologie moléculaire indiquent en effet que les estrogènes – hormones féminines – augmentent le niveau d’expression du gène de l’ACE2. Les femmes présenteraient en outre une expression plus élevée de l’ACE2 car elles portent deux copies du gène qui codent pour ce récepteur, celui-ci étant localisé sur le chromosome X (que les femmes possèdent en double exemplaire). Bien qu’un des deux chromosomes X soit inactivé chez les femmes, certaines régions de ce chromosome (dont celle où siège le gène de l’ACE2) ne le sont pas : le système SRAA des femmes non ménopausées penche ainsi plus volontiers vers le versant de l’angiotensine 1–7 que celui de l’angiotensine II de la balance. Cet équilibre complexe pourrait intervenir dans les différentes observations épidémiologiques posées pour l’heure sur le Covid-19 : « Dans les formes graves de l’infection, les hommes représentent une majorité des patients. Mais dans des contextes de dépistage assez massif, comme cela a été fait en Corée du Sud, les femmes dépistées positives sont beaucoup plus nombreuses que les hommes : cette observation reflète peut-être plus de susceptibilité à l’infection, mais moins de formes graves. Le profil d’expression de l’ACE2 pourrait expliquer ces observations. »

Polymorphisme du récepteur

Dans certains cas, les variations de la séquence d’un gène (polymorphisme) peuvent moduler la sensibilité et l’activité de la protéine pour laquelle il code. Ainsi, il a été montré dans des populations d’origine ethnique différente que les polymorphismes d’ACE2 étaient associés à un risque différent de développer une hypertension artérielle et, plus largement, au risque de développer certaines maladies cardiovasculaires (diabète, coronaropathie…). « On peut poser l’hypothèse que ce polymorphisme puisse être associé à une sensibilité différente à l’infection par le SARS-CoV‑2, ou à la gravité de la maladie Covid-19″, suggère Marco Alifano. Cette hypothèse semble confortée par des études conduites in silico : un polymorphisme connu de l’ACE2 donne lieu à une affinité accrue du récepteur pour la protéine Spike grâce à laquelle le virus se fixe à ce récepteur. C’est ce qu’indiquent les différentes modélisations réalisées par Marco Alifano et d’autres chercheurs, actuellement soumises pour publication, dont une version preprint est d’ores et déjà disponible. 

Tabagisme, pollution et ACE2

Selon certaines études épidémiologiques, il pourrait exister une protection des fumeurs actifs vis-à-vis de l’infection par le SARS-CoV‑2. Un phénomène contre-intuitif étant donné la susceptibilité généralement accrue de cette population vis-à-vis des maladies pulmonaires. Ces observations préliminaires nécessitent des confirmations. « On peut émettre l’hypothèse qu’une relative protection des fumeurs – ou un décours clinique moins grave que celui attendu chez des fumeurs – dériverait éventuellement d’un effet de la nicotine sur le taux d’expression de l’ACE2. » En revanche, « la pollution, et notamment le taux de NO2, a aussi été décrit comme influençant, dans des modèles expérimentaux, le taux de récepteurs ACE2 au niveau pulmonaire ; ceci pourrait au moins en partie expliquer la sévérité du Covid-19 dans les régions hautement polluées ».

L’équation est complexe et ces quelques pistes mécanistiques ne sont pour l’heure que des hypothèses possiblement confortées par l’épidémiologie. Il convient désormais de les confirmer par des études spécifiques. Mais ces considérations semblent avant tout pousser à élargir l’appréhension des nombreuses questions scientifiques à résoudre : « Dans notre activité de recherche au quotidien, nous sommes tous experts dans un domaine, assez souvent pointu, mais l’urgence associée à la maladie Covid-19 invite à adopter une approche transversale aux problématiques qui se posent à nous : prendre du recul et essayer de développer des visions d’ensemble », conclut Marco Alifano. 

Note :
* unité 1138 Inserm/Université de Paris, Centre de recherche des Cordeliers, équipe Cancer, Immune Control and Escape, et service de chirurgie thoracique, hôpital Cochin, AP-HP 

Sources :