Covid-19 : la stéatose hépatique ouvre les portes du foie au virus

Le foie est un organe particulièrement vulnérable en cas de Covid-19. À l’institut Nutrition, métabolismes et cancer de Rennes, Orlando Musso et son équipe viennent de montrer que la stéatose hépatique, une maladie caractérisée par une accumulation de graisses dans les cellules du foie, favorise la disponibilité des récepteurs qui permettent au coronavirus SARS-CoV‑2 d’y pénétrer. Or, la stéatose hépatique touche environ un milliard d’individus dans le monde.

Pourquoi les maladies hépatiques sont-elles un facteur de risque de Covid-19 sévère ? Pourquoi l’infection entraîne-t-elle des complications hépatiques chez certains patients ? Les relations intimes entre Covid-19 et maladies du foie intriguent le chercheur Inserm Orlando Musso et son équipe de l’institut Nutrition, métabolismes et cancer de Rennes. Depuis la pandémie, ces chercheurs étudient les mécanismes biologiques impliqués dans ces liens, bien décidés à apporter des éclaircissements sur la susceptibilité à l’infection par le coronavirus SARS-CoV-2en fonction de l’état de santé de cet organe. L’équipe s’est particulièrement intéressée à la stéatose hépatique car la maladie est très répandue : on estime qu’elle concernerait entre 25 % et 45 % de la population adulte selon les régions du monde. En France, environ 1 adulte sur 5 est atteint. Souvent associée à des apports caloriques excessifs et à un surpoids, cette maladie induit un état pro-inflammatoire du foie qui affecte son fonctionnement.

Orlando Musso et ses collaborateurs viennent de montrer que la quantité anormalement élevée de graisses contenue dans les cellules hépatiques de ces patients augmente la quantité d’enzyme de conversion de l’angiotensine II (ACE2) à la surface de ces cellules. Or cette enzyme habituellement impliquée dans la régulation de la pression artérielle est aussi le récepteur que le SARS-CoV‑2 utilise pour les infecter.

Cas cliniques et cultures in vitro

Dans le cadre de ce travail, les chercheurs ont examiné des échantillons de tissus hépatiques issus de chirurgies réalisées chez des patients atteints de maladies du foie, exempts d’infection par le SARS-CoV‑2 pour bien distinguer ce qui relève de la maladie hépatique seule. Ils ont quantifié l’expression du gène qui conduit à la synthèse d’ACE2 dans les cellules du foie de 243 patients, dont 126 atteints de stéatose hépatique. Ils ont ensuite validé leurs résultats sur une cohorte de 161 cas supplémentaires, qui présentaient une maladie hépatique inflammatoire sans diagnostic de stéatose hépatique. Enfin, ils ont recherché et localisé la protéine ACE2 dans le foie de 16 patients. L’ensemble de ce travail leur a permis de mettre en évidence un lien entre la stéatose hépatique et un niveau d’expression élevé d’ACE2 dans le foie.

« Chez les patients atteints de stéatose hépatique, les niveaux d’ACE2 augmentent avec l’âge, le contenu en graisse du foie et l’intensité des phénomènes inflammatoires. Chez les patients atteints de maladies inflammatoires du foie sans diagnostic de stéatose hépatique, l’expression d’ACE2 est augmentée uniquement lorsque ces personnes sont en surpoids, précise Orlando Musso. ACE2 est détectée à la surface des hépatocytes, les cellules du foie qui assurent ses fonctions métaboliques, mais aussi sur des cellules endothéliales qui tapissent l’intérieur des vaisseaux sanguins de l’organe. Ce résultat est important car les cellules endothéliales constituent une plateforme d’échange entre les hépatocytes et la circulation sanguine, ce qui pourrait faciliter le passage du virus du sang jusque dans les hépatocytes. » Ces observations cliniques ont été confirmées par des expériences in vitro et l’équipe a ainsi pu montrer que l’accumulation anormalement élevée de certains acides gras dans des hépatocytes humains en culture induit l’expression du gène ACE2.

Contrôler l’expression d’ACE2

À la lumière de ces nouvelles données, « il est possible d’imaginer que la présence en excès de la protéine ACE2 à la surface des cellules hépatiques puisse faciliter l’entrée du SARS-CoV‑2 dans le foie, et que l’état pro-inflammatoire généré par la stéatose hépatique exacerbe la réponse à l’infection et favorise l’apparition de dysfonctionnements », explique le chercheur. Outre l’apport de nouvelles connaissances fondamentales, ces travaux confirment l’intérêt potentiel de stratégies qui permettraient de contrôler l’expression d’ACE2 à la surface des cellules pour réduire la susceptibilité aux formes sévères de Covid-19. « Une étude conduite chez l’humain a précédemment montré que le contrôle pharmacologique de l’expression d’ACE2 diminue le risque d’infection par le SARS-CoV‑2, y compris au niveau hépatique », indique le chercheur. Par ailleurs, « ces nouvelles données renforcent l’importance de protéger les patients potentiellement vulnérables via des rappels de vaccination et une meilleure hygiène alimentaire », souligne-t-il en conclusion.


Orlando Musso est chercheur dans l’équipe Stress exogènes et endogènes, plasticité des réponses et pathologies, à l’institut Nutrition, métabolismes et cancer (NuMeCan, unité 1317 Inserm/INRAE/Université de Rennes, Hôpital Pontchaillou).


Source : L. Desquilles, L. Cano et coll. SARS-CoV‑2 receptor ACE2 is upregulated by fatty acids in human MASH. JHEP Reports, 12 octobre 2023 ; DOI : 10.1016/j.jhepr.2023.100936

Auteur : A. R.

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