Covid-19 : l’Inserm sur tous les fronts

La pandémie de Covid-19 représente une crise sanitaire inédite de par son ampleur et son impact sur nos vies. Causée par un coronavirus émergent, le SARS-CoV‑2, cette maladie a placé la recherche mondiale sur le pied de guerre. A l’Inserm aussi, les chercheurs ont sonné la mobilisation générale. Avec plusieurs objectifs : comprendre la maladie, mieux soigner les patients, développer rapidement des vaccins et anticiper ce que la pandémie nous réserve afin de protéger les populations.

Un article à retrouver dans le n°47 du magazine de l’Inserm

Plus de 661 000 victimes avérées et près de 17 millions de personnes contaminées aux quatre coins de la planète ! Voilà le triste bilan de la pandémie de Covid-19 depuis que le SARS-CoV‑2 est apparu en Chine, en fin d’année dernière. La France n’a pas été épargnée, loin de là. D’après Santé publique France, en juin 2020 plus de 166 000 personnes avaient contracté la maladie et quasiment 30 000 sont décédées depuis le début de l’épidémie. Dans ce contexte, « jamais la mission de l’Inserm n’a été aussi importante », assure Éric D’Ortenzio1, médecin épidémiologiste à l’Inserm et coordinateur scientifique du consortium REACTing, un acteur central de la lutte contre la pandémie. Face à celle-ci, la réponse des chercheurs de l’Inserm a été unanime. « Il y a une mobilisation énorme pour la recherche contre le Covid-19″, se réjouit l’épidémiologiste. L’Institut est ainsi impliqué dans plus de 450 publications scientifiques sur cette maladie encore inconnue il y a quelques mois. Pour autant, il reste de nombreuses zones d’ombres à éclaircir pour combattre efficacement le virus et mettre un terme à la pandémie. Pour faire le point, le magazine de l’Inserm vous propose un tour d’horizon des travaux menés en France sur le SARS-CoV‑2 et la maladie qu’il provoque, le Covid-19. 

Comprendre le virus pour mieux le vaincre

Le SARS-CoV‑2 est un nouveau membre de la grande famille des coronavirus. Ceux-ci provoquent généralement des rhumes ou des syndromes grippaux bénins qui disparaissent spontanément. Toutefois, depuis le début du siècle, trois épidémies mortelles ont été causées par des coronavirus émergents : le SARS-CoV‑1 en 2003, le MERS-CoV en 2012 et enfin le SARS-CoV‑2 qui est apparu en Chine en fin d’année dernière. Ce dernier ressemble d’ailleurs beaucoup à son cousin, le SARS-CoV‑1. « Ces deux virus sont semblables à 80% », indique Isabelle Imbert2, biologiste au CNRS et professeur à Aix-Marseille Université. Certains mécanismes d’infection sont aussi similaires. Ces deux virus utilisent la même cible pour se fixer aux cellules humaines : le récepteur ACE2. Impliquée en temps normal dans la régulation de la pression artérielle, cette protéine est située à la surface de certaines cellules présentes sur la paroi des voies respiratoires mais aussi sur celles des vaisseaux sanguins ou encore des intestins. Le virus se fixe à ces récepteurs via la protéine S (pour « spicule », ou Spike en anglais), qui hérisse son enveloppe extérieure. « C’est notamment au niveau de cette protéine que les deux souches de SARS-CoV diffèrent », constate la biologiste. Une fois arrimé aux cellules, le virus pénètre à l’intérieur de celles-ci et détourne leur machinerie cellulaire afin de se répliquer en grand nombre. Ce sont ces mécanismes de réplication que l’équipe d’Isabelle Imbert cherche à caractériser pour mieux les enrayer. Grâce à des études in vitro et à des modélisations informatiques dites in silico, ces chercheurs espèrent en effet pouvoir inhiber spécifiquement une enzyme essentielle à la réplication du virus, la polymérase. « Nous disposerions alors d’un traitement avec peu d’effets secondaires car cette activité enzymatique n’est pas retrouvée chez l’Homme », poursuit Isabelle Imbert. Cette idée a d’ailleurs su convaincre REACTing et l’Agence nationale de la recherche (ANR), qui contribuent au financement de ce projet. 

Outre les mécanismes biologiques de l’infection, il est crucial de connaître l’histoire naturelle du Covid-19, la maladie causée par le SARS-CoV‑2. « C’est le premier objectif de la cohorte observationnelle French Covid-19 mise en place dès l’apparition des premiers cas sur le territoire », explique Yazdan Yazdanpanah3, chef du service des maladies infectieuses de l’hôpital Bichat de Paris et membre du conseil scientifique Covid-19. Ce travail a débuté par la description des cinq premiers malades diagnostiqués à l’hôpital Bichat à la fin du mois de janvier. Trois types très différents de présentations cliniques ont alors été mis en évidence : deux cas peu symptomatiques à l’issue favorable, deux conditions initialement rassurantes mais qui s’aggravent au bout de dix jours et une forme immédiatement grave avec une atteinte de nombreux organes. Depuis la description de ces premiers cas, plus de 3 000 patients hospitalisés sur tout le territoire pour cause de Covid-19 ont été inclus dans la cohorte. « Les données recueillies nous permettent de mieux appréhender la maladie, ses symptômes ou encore les réponses aux traitements », continue l’infectiologue. Autant d’informations essentielles pour aider les soignants à lutter contre le Covid-19. Par ailleurs, cette cohorte a permis la création d’une banque d’échantillons. « Cette biobanque permet de nourrir la recherche fondamentale et clinique, déclare Yazdan Yazdanpanah. En mettant ces prélèvements à dispositions des chercheurs, ceux-ci peuvent par exemple étudier le génome du virus ou encore ses interactions avec notre système immunitaire. »

La réponse du système immunitaire au virus est en effet très variable d’un individu à l’autre. La majorité des personnes infectées guérissent d’ailleurs spontanément du Covid-19. Mais environ 20% d’entre elles doivent être hospitalisées et 5% le sont pour des formes très graves de la maladie. Ces dernières souffrent généralement d’insuffisances respiratoires aiguës. Et parfois de thromboses : des caillots de sang se forment dans leurs veines, ce qui réduit la circulation sanguine et donc l’approvisionnement en oxygène, aggravant encore les problèmes respiratoires. Les cohortes observationnelles comme French Covid-19 ont permis d’identifier plusieurs facteurs susceptibles de favoriser l’aggravation de la maladie. C’est le cas par exemple des antécédents cardiovasculaires, du diabète, des maladies chroniques et respiratoires mais aussi de l’obésité. Deux études coordonnées par des chercheurs de l’Inserm dans des hôpitaux de Lille et de Lyon confirment une prévalence plus importante de personnes obèses en réanimation pour cause de Covid-19 que dans la population générale. L’âge joue aussi un rôle de premier plan dans les formes graves de la maladie. Selon les données accumulées par Santé publique France depuis le 1er mars, l’âge médian des personnes hospitalisées dans les établissements de santé français est en effet de 72 ans. Et parmi ceux qui y sont décédés, 71% étaient âgés de 75 ans et plus. 

Vers des pistes thérapeutiques robustes

Sans traitement qui cible directement le virus, les soignants se sont trouvés désarmés pour lutter contre cette maladie qui n’existait pas il y a quelques mois encore. Face à cette urgence sanitaire, la stratégie la plus rapide et efficace consiste à repositionner des médicaments existants pour lutter contre le virus. « Des molécules dont on connaît la toxicité seront plus rapidement mises à disposition des patients », confirme Bruno Lina4, responsable d’équipe Inserm au Centre international de recherche en infectiologie (Ciri) de Lyon et membre du conseil scientifique Covid-19. Cette approche est d’ailleurs centrale dans les travaux du laboratoire qu’il dirige au Ciri. « Nous avons notamment développé un modèle préclinique d’infection très proche de la physiologie humaine, qui nous permet de tester de nombreux médicaments », précise le virologue. À ce jour, « aucune molécule n’a encore montré une efficacité remarquable, mais des signaux intéressants ont été mis en évidence pour quelques-unes d’entre elles comme le naproxène, un anti-inflammatoire non stéroïdien ». Des résultats qui restent à confirmer sur des modèles expérimentaux et en pratique clinique. 

Des études ont déjà été mises en place pour évaluer l’efficacité de médicaments potentiellement actifs contre le SARS-CoV‑2. C’est notamment le cas de Discovery, coordonné par l’Inserm dans le cadre du consortium REACTing. Cet essai clinique européen a été mis en place en un temps record et a débuté dès le 22 mars dernier. Début juillet, cette étude comptabilisait 763 patients hospitalisés sur les 3 200 prévus à l’échelle de l’Europe. « Le rythme d’inclusion est aujourd’hui faible », reconnaît Bruno Lina. « La partie européenne a mis du temps à se mettre en place, compte tenu de problèmes de financement et de régulation mais aussi à cause de certaines réticences », ajoute Yazdan Yazdanpanah, président du comité de pilotage de l’essai. Pour autant, les données ne sont pas recueillies en vain, loin de là. Discovery fait en effet partie intégrante de Solidarity, le consortium d’essais cliniques de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), qui regroupe près de 5 500 patients de 21 pays et qui évalue les mêmes molécules. À savoir, initialement, le remdésivir, un antiviral conçu pour lutter contre le virus Ebola. Ensuite, le lopinavir et le ritonavir, des antiviraux habituellement utilisés contre le VIH. Cette combinaison lopinavir/ritonavir a été évaluée en association ou non avec l’interféron bêta-1a, un immunomodulateur qui réduit l’inflammation en limitant l’action de certains messagers chimiques émis par nos cellules immunitaires : les cytokines pro-inflammatoires. Et enfin, l’hydroxychloroquine, un antipaludéen très médiatisé comme traitement potentiel du Covid-19, mais dont des analyses intermédiaires ont montré une absence d’efficacité pour réduire la mortalité des patients hospitalisés par rapport aux soins standards. Quant aux antiviraux évalués, les résultats devraient être disponibles d’ici la fin de l’été. Mais « aucune de ces molécules n’est probablement très efficace pour abaisser la mortalité car nous aurions déjà dû voir des effets positifs », regrette Yazdan Yazdanpanah. Pour cette raison, Solidarity et Discovery qui ont été conçus comme des essais adaptatifs, interrompent, en juillet, les essais sur les bras lopinavir/ritonavir avec ou sans interféron bêta. Une réflexion est en cours pour tester de nouveaux traitements – grâce à la grande plasticité de ces études qui permettent de réévaluer constamment les protocoles de recherche afin de prendre en compte les résultats internationaux les plus récents et les plus robustes. 

Un ensemble d’essais cliniques de repositionnement de médicaments est aussi en cours dans une cohorte de patients atteints de pneumopathie causée par le virus, Corimuno-19. « Grâce à un protocole d’essais contrôlés randomisés multiples nichés au sein de cette cohorte, nous pouvons évaluer simultanément plusieurs molécules, et ainsi accélérer la recherche, tout en gardant un niveau élevé de qualité méthodologique et de sécurité pour les malades », se réjouit Pierre-Louis Tharaux5, directeur de recherche Inserm et un des coordonnateurs du projet. Porté par l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) avec le soutien de REACTing, Corimuno-19 s’intéresse en particulier à plusieurs immunomodulateurs. Le but est de savoir si ces médicaments, notamment prescrits contre des maladies auto-immunes, peuvent limiter l’emballement du système immunitaire de certains patients hospitalisés. Cet emballement, désigné sous le terme d’« orage cytokinique », conduit à une production excessive de cytokines, qui contribue à la dégradation rapide de l’état de santé. Trois molécules dirigées contre des cytokines ou leur récepteur cellulaire ont pour le moment pu être évaluées : le sarilumab, le tocilizumab et l’anakinra. Environ 700 patients de 30 centres cliniques ont participé à ces essais. « Les résultats sont en phase finale de validation, poursuit le chercheur. Ils permettront de déterminer si ces molécules, notamment le tocilizumab, réduisent le risque de mortalité pour les patients en détresse respiratoire comme cela a été observé dans plusieurs études rétrospectives. » Le projet Corimuno-19 s’intéresse aussi à l’efficacité et à la tolérance d’anticoagulants et de corticoïdes. Ces traitements sont utilisés pour réduire respectivement le risque de thrombose et l’inflammation, des complications apparemment liées aux orages cytokiniques. Ces études observationnelles pourraient permettre de conforter les résultats préliminaires de l’essai clinique britannique Recovery sur la dexaméthasone. Ce corticoïde peu coûteux et largement disponible réduirait en effet de manière significative la mortalité de patients qui présentent une insuffisance respiratoire sévère. Dernier volet du projet Corimuno-19, l’essai Coriplasm vise à évaluer l’efficacité de la transfusion de plasma de patients guéris du Covid-19 contre la maladie. Leur plasma contient en effet des anticorps dirigés contre le virus. Les transfuser pourrait aider des patients hospitalisés à combattre l’infection.

La piste des anticorps est d’ailleurs en mesure de devenir une approche thérapeutique efficace en attendant la production de vaccins. Des dizaines d’équipes de recherche dans le monde tentent d’identifier des anticorps qui pourraient avoir une action thérapeutique contre le virus. C’est aussi le but de l’équipe Inserm d’Hugo Mouquet6 à l’institut Pasteur de Paris. « À partir de prélèvements sanguins de patients, notamment de la cohorte French Covid-19, nous avons déjà pu produire et caractériser 60 anticorps humains. Ceux-ci sont spécifiques de la protéine S, une des cibles privilégiées de notre système immunitaire dans sa lutte contre le SARS-CoV‑2, explique Hugo Mouquet. Quelques-uns d’entre eux sont intéressants car ils présentent à faible dose une activité neutralisante qui permet de bloquer l’infection des cellules. » Si ces résultats se confirment sur des modèles expérimentaux et cliniques, ils pourraient être produits en grande quantité pour traiter la maladie. Bien que coûteux, ces anticorps dit « monoclonaux » [car ils reconnaissent une seule et même partie d’un antigène] seraient aussi susceptibles d’être prescrits de manière prophylactique pour protéger les populations les plus exposées et/ou les plus vulnérables. Par ailleurs, les connaissances acquises sur les anticorps et les mécanismes de la réponse immunitaire pourront à terme contribuer à développer des vaccins plus efficaces. 

Développer des vaccins efficaces et sûrs est le meilleur moyen de protéger les populations. Une vingtaine vaccins sont en cours d’évaluation clinique dans le monde même si seulement trois d’entre eux sont en phase 3 – cette dernière étape de validation qui permet de confirmer l’efficacité d’une stratégie thérapeutique ou vaccinale sur un nombre important de personnes. Par ailleurs, plus de 130 candidats vaccins sont aussi en développement. 

L’horizon encore lointain de la vaccination

En France, une trentaine d’équipes de recherche sont entrées dans la course. Les travaux les plus avancés sont probablement ceux coordonnés par Frédéric Tangy de l’institut Pasteur. L’idée ici est d’utiliser le vaccin atténué de la rougeole comme vecteur pour présenter des antigènes du SARS-CoV‑2, ces éléments du coronavirus aptes à déclencher une réponse immunitaire suffisante pour nous immuniser sans nous rendre malades. Un essai clinique de phase 1 pour vérifier la sureté et la tolérance de ce vaccin est d’ailleurs prévu à la fin de l’été. À l’Inserm, ce sont une douzaine d’équipes qui sont impliquées dans des projets de recherche vaccinale contre le Covid-19. Trois d’entre eux viennent de faire l’objet d’un financement du ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation sur l’avis d’un comité d’experts coordonné par REACTing. Le premier est développé par l’équipe de Camille Locht7, du centre Infection et immunité de Lille, qui mise sur le vaccin contre la coqueluche comme vecteur. Le deuxième projet est porté par l’équipe d’Yves Lévy8, de l’Institut de recherche vaccinale (VRI) de Créteil. Leur stratégie consiste à faire présenter des antigènes du virus par des anticorps monoclonaux. Enfin la formule vaccinale prônée par Patrice Marche9, directeur de recherche Inserm à l’Institut pour l’avancée des biosciences (IAB) de Grenoble, repose sur des particules composées de lipides naturels. « Ce sont ces gouttelettes lipidiques de la taille d’un virus qui porteront les antigènes capables d’induire une réponse du système immunitaire », explique l’immunologiste. Cette approche développée en collaboration avec le Laboratoire d’électronique et de technologie de l’information (Leti) du CEA a déjà fait ses preuves avec des antigènes du VIH sur des modèles expérimentaux. « Le processus industriel de production de ces particules est déjà en place et leur contrôle qualité est simple. Deux atouts de taille pour produire rapidement un vaccin dans l’urgence, se félicite Patrice Marche. Il nous reste à prouver que les antigènes induisent une réponse immunitaire protectrice. » En cas de succès, ce candidat vaccin de deuxième génération pourrait entrer en phase d’essai clinique en fin d’année prochaine. 

Un futur vaccin déjà décrié ?

Les initiatives pour développer des vaccins contre le SARS-CoV‑2 ne manquent pas. Il est fort probable qu’une d’entre elle aboutisse dès l’année prochaine. Au-delà des questions de production et de distribution d’un tel vaccin, la population acceptera-t-elle de le recevoir ? Une enquête réalisée fin mars auprès d’un échantillon de 1 012 adultes représentatif de la population française a tenté de répondre à cette question. Ce travail, coordonné par Patrick Peretti-Watel10, sociologue à l’Inserm, indique que 26% des Français refuseraient ce vaccin. « Cette proportion monte à 37% parmi les classes sociales défavorisées, elles-mêmes plus exposées aux maladies infectieuses que le reste de la population », regrette le chercheur. Autre résultat inquiétant, 36% des femmes de moins de 35 ans rejetteraient ce vaccin. Elles jouent pourtant un rôle crucial dans la vaccination des enfants. Cette enquête montre par ailleurs un clivage en fonction des lignes politiques. Ces paramètres devront être pris en compte, selon les auteurs de l’étude, par les autorités publiques pour faire adhérer le maximum de personnes aux futures campagnes de vaccination et éviter les controverses politiques, à l’image de celles qui ont entaché le vaccin de 2009 contre le virus de la grippe H1N1. 

En l’absence de vaccins et de traitements, le confinement a représenté une solution efficace pour stopper la propagation du virus. Mais les conséquences sur la population ne sont pas uniformes. Certaines personnes sont ainsi plus susceptibles de souffrir de problèmes de santé mentale, comme le confirment les dernières données de la cohorte Tempo. Coordonnée par Maria Melchior11, directrice de recherche Inserm à l’institut Pierre-Louis d’épidémiologie et de santé publique, cette cohorte de 1 200 personnes s’intéresse à la santé mentale et aux conduites addictives chez les jeunes adultes. Or, les questionnaires envoyés aux participants pendant le confinement révèlent que la proportion de personnes qui déclarent des difficultés financières a augmenté lors de cette période d’inactivité professionnelle. Et celles-ci sont alors plus sujettes à des symptômes anxiodépressifs que les personnes qui affirment ne pas avoir de problèmes d’argent.

L’étude des inégalités sociales de santé est aussi au cœur des travaux de Michelle Kelly-Irving12, chargée de recherche Inserm à l’université de Toulouse III. Pour connaître l’impact de la pandémie sur ces inégalités, l’épidémiologiste coordonne un programme de recherche interdisciplinaire dénommé Epidemic. « Le premier volet de ce projet cherche à caractériser les déterminants sociaux de l’épidémie », précise Michelle Kelly-Irving. Certaines catégories socioprofessionnelles sont en effet plus exposées au virus, non seulement les soignants mais aussi les livreurs ou le personnel des supermarchés par exemple. À l’inverse, les cadres présentent un risque moindre d’infection car ils peuvent généralement télétravailler. Par ailleurs, ces variations socioprofessionnelles exposent les personnes de façon différente selon le genre. » Des données issues d’un échantillon de 20 001 volontaires représentatif de la population française, le baromètre Covid-19 – opéré par IPSOS en partenariat avec datacovid.org –, indiquent ainsi que les femmes sont surreprésentées parmi les individus diagnostiqués au Covid-19. « Nous pensons que les femmes, plus présentes dans les métiers paramédicaux et dans les services, ont été davantage exposées au virus ou ont eu un accès plus facile à des tests de dépistage. » Le projet Epidemic, financé par l’ANR, s’intéresse aussi aux conséquences psychologiques et aux conditions socio-anthropologiques du confinement via une enquête en ligne et des entretiens qualitatifs, respectivement. 

Anticiper une nouvelle épidémie

Ces travaux permettront de mieux se préparer à une crise sanitaire similaire à celle que nous vivons et à son impact sur la population, notamment sur les classes sociales défavorisées. « Nos premiers résultats suggèrent en effet que l’approche universaliste du confinement crée ou amplifie les inégalités sociales de santé. Pourrait-on confiner autrement ? En fonction du niveau de revenus, du type de logements ou encore de la région ? », s’interroge l’épidémiologiste. En obligeant une majorité d’entre nous à rester chez soi, le confinement a permis de casser la chaîne de transmission du virus, mais cette mesure radicale a drastiquement modifié nos contacts sociaux. Afin de savoir comment ceux-ci ont évolué pendant et après le confinement, Lulla Opatowski13, maître de conférence à l’université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines et épidémiologiste à l’institut Pasteur, a monté le projet SocialCov. Cette enquête en ligne a permis, à travers des questions sur les habitudes de vie pendant le confinement, d’identifier le nombre d’interactions sociales quotidiennes et leur fréquence chez plus de 40 000 personnes. « L’analyse des données montre qu’en moyenne le nombre de contacts est passé de six à douze par jour selon les classes d’âge à moins de quatre pendant le confinement », rapporte Lulla Opatowski. Le deuxième volet de cette enquête est sur le point d’être lancé pour évaluer l’effet du déconfinement sur ces interactions. « Cette crise sanitaire a en effet modifié les comportements sociaux de la population de façon inédite. » Ces données pourront in fine être utilisées pour modéliser la propagation du virus dans la communauté. Des informations essentielles, notamment en cas de nouvelle épidémie. 

L’équipe de Lulla Opatowski s’intéresse aussi à la transmission du SARS-CoV‑2 dans les établissements de santé. Le projet MOD-COV monté dans le cadre d’un groupe de travail sous l’égide du consortium REACTing a pour but de réduire le risque de dissémination du virus dans les hôpitaux. « Nous avons adapté nos modèles mathématiques de diffusion des infections nosocomiales pour répondre aux questions de cliniciens confrontés à l’épidémie de Covid-19, explique la chercheuse. Par exemple, à partir de quel stade de l’épidémie tous les patients doivent-ils être testés à l’admission ? Faut-il installer une unité spéciale Covid-19 ? Quand les mesures prises pour contenir l’épidémie peuvent-elles être relâchées ? » Pour répondre à ces interrogations, le modèle simule les différents services de l’hôpital et prend en compte un certain nombre de variables : le nombre de patients et de soignants, le transfert de patients ou encore les interactions entre personnes en fonction des services. Des centaines voire des milliers de scénarios faisant évoluer ces variables sont alors comparés in silico pour déterminer lesquels permettent de réduire le risque de transmission du virus. « Les résultats obtenus visent à aider les établissements de santé à prendre des mesures adaptées pour contrôler au mieux l’épidémie, conclut Lulla Opatowski. Ce type de modélisation pourrait d’ailleurs être appliqué à d’autres types d’établissements, comme les Ehpad, ou à d’autres virus émergents. » Voilà donc une arme de plus à disposition des décideurs pour mieux se préparer à une éventuelle deuxième vague. 

La recherche sur le nouveau coronavirus est très dynamique en France en général et à l’Inserm en particulier. Les chercheurs sont mobilisés afin de trouver un traitement efficace, d’élaborer des vaccins sûrs et de préparer le pays à un possible rebond épidémique important. En attendant des armes plus efficaces pour lutter contre le virus et des outils prédictifs plus subtils, nous nous devons de continuer à respecter au mieux les gestes barrières pour protéger les personnes les plus fragiles. 

REACTing, la réponse française aux maladies infectieuses émergentes

Créé en 2013 à l’initiative de l’Inserm, le consortium REACTing a deux principales missions : se préparer à d’éventuelles émergences infectieuses et coordonner la recherche en cas d’épidémie. Pour cela, il rassemble des équipes et des laboratoires de tous horizons, de la recherche fondamentale aux sciences humaines et sociales. Devant la crise sanitaire causée par le Covid-19, « nous nous sommes rapidement mis en ordre de bataille pour identifier les priorités de recherche », relate Éric D’Ortenzio, coordinateur scientifique de REACTing. Vingt projets ont ainsi pu démarrer dès le mois de février grâce à un budget d’amorce d’un million d’euros. « Ce financement a contribué à la mise en place d’une cohorte de patients, d’essais cliniques de traitements potentiels, de modèles mathématiques de l’épidémie mais aussi d’enquêtes sur les enjeux sociaux de la pandémie », précise Yazdan Yazdanpanah, directeur de l’institut thématique de l’Inserm Immunologie, inflammation, infectiologie et microbiologie (I3M), qui supervise REACTing. Outre son rôle de coordinateur, le consortium s’efforce aussi d’informer. Avec l’aide du pôle Expertises collectives de l’Inserm, REACTing sélectionne toutes les semaines les publications scientifiques les plus pertinentes afin que les acteurs de la réponse à la pandémie puissent avoir un aperçu général de la recherche sur le Covid-19, et prendre ainsi les décisions adéquates 

Notes :

1 : unité 1137 Inserm/Université de Paris 

2 : UMR 7257 CNRS/Aix-Marseille Université, Architecture et fonction des macromolécules biologiques (AFMB)

3 : unité 1137 Inserm/ Université de Paris 

4 : unité 1111 Inserm/École nationale supérieure de Lyon/Université de Lyon I, VirPath 

5 : unité 970 Inserm/Université de Paris, Centre de recherche cardiovasculaire de Paris (Parcc)

6 : unité 1222 Inserm/Institut Pasteur, Immunologie humorale 

7 : unité 1019 Inserm/CNRS/Université de Lille/CHRU de Lille/Institut Pasteur de Lille 

8 : unité 955 Inserm/Université Paris Est Créteil Val de Marne, Institut Mondor de recherche biomédicale 

9 : unité 1209 Inserm/Université Grenoble Alpes 

10 : unité 257 Inserm/IRD/IHU Méditerranée Infection/Aix-Marseille Université, équipe Vecteurs-Infections tropicales et méditerranéennes 

11 : unité 1136 Inserm/Sorbonne Université 

12 : unité 1027 Inserm/Université Toulouse III – Paul-Sabatier 

13 : unité 1018 Inserm/Institut Pasteur/Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines