Les controverses biochimiques du régime cétogène

Principal nutriment produit par notre organisme en réponse à un régime cétogène, pauvre en glucides, le bêta-hydroxybutyrate ne présenterait pas tous les atouts que les scientifiques lui ont attribué jusque-là... Luciano Pirola*, en collaboration avec le groupe de recherche d’Aneta Balcerczyk**, vient en effet de montrer que cette substance ne présente pas d’activité anti-inflammatoire et que son rôle sur la transcription reste à clarifier.

Dans un contexte d’un intérêt croissant pour le régime cétogène, les scientifiques s’intéressent de plus en plus au bêta-hydroxybutyrate. Ce régime consiste à éliminer presque tous les glucides de son alimentation, notamment les féculents, et à privilégier les aliments gras et les protéines. Les cellules qui se nourrissent normalement de glucose ne peuvent plus faire face à leurs besoins et se mettent alors à utiliser une voie annexe pour produire de l’énergie, passant par la dégradation d’acides gras.

Cette voie est bien décrite : elle produit des dérivés d’acides gras nommés « corps cétoniques », et principalement du bêta-hydroxybutyrate. Or, des travaux ont suggéré que le bêta-hydroxybutyrate pourrait présenter des bénéfices pour la santé à des doses physiologiques, avec notamment une activité anti-inflammatoire. Restait à le vérifier… 

Deux molécules qui ne diffèrent que par un seul atome

Luciano Pirola et son équipe travaillaient déjà sur le butyrate, une molécule produite par les bactéries intestinales qui ne diffère du bêta-hydroxybutyrate que par un atome d’oxygène. « Cette proximité chimique entre les deux molécules suggérait des activités identiques », explique Luciano Pirola. Le butyrate présente un bénéfice sur le métabolisme et le contrôle du poids. Cette activité passe par des mécanismes épigénétiques : le butyrate inhibe une enzyme appelée histone déacétylase, favorisant ainsi le maintien des molécules d’acétate sur les histones, et facilitant l’expansion de la chromatine et la transcription de gènes bénéfiques. « Nous avons décidé de vérifier si le bêta-hydroxybutyrate possédait bien une activité anti-inflammatoire et si cette molécule contribuait à l’inhibition des histones déacétylases comme le butyrate ». 

Les expériences que les chercheurs ont conduites contredisent les deux points. Ils n’ont pas trouvé d’effet anti-inflammatoire évident sur des lignées de cellules humaines testées (des cellules endothéliales i.e. qui tapissent la paroi intérieure des vaisseaux sanguins et sont très réactives aux phénomènes d’inflammation) : au contraire, l’effet observé est légèrement pro-inflammatoire. En outre, que ce soit dans des cellules endothéliales, rénales ou musculaires, le bêta-hydroxybutyrate n’inhibe pas les histone déacétylases : il provoque une autre modification épigénétique récemment découverte, la β‑hydroxybutyrylation des histones. Les effets de ce type de modification sont inconnus à ce jour. 

« Ces travaux sont un point de départ : nous devons aller plus loin car nous prévoyons une augmentation du recours au régime cétogène dans les années à venir. Ce régime est déjà indiqué dans des situations particulières, par exemple pour des personnes épileptiques chez lesquelles il permet de réduire la fréquence des crises sans que l’on comprenne de façon approfondie le mécanisme mis en jeu. Il commence également à être suggéré dans d’autres maladies comme le cancer ou même le diabète. Nous devons mieux comprendre le lien biologique entre la production de bêta-hydroxybutyrate et les réponses biochimiques et métaboliques de l’organisme afin d’évaluer l’effet et l’efficacité de ce régime sur la santé pour la population générale », conclut Luciano Pirola. 

Notes

*unité 1060 Inserm/Université Claude Bernard Lyon 1/Insa, unité 1397 Inra, Laboratoire CarMeN, équipe Adaptations nutritionnelles, environnement et diabète, Lyon

**Université de Lodz, Pologne 

Source : S Chriett et coll. Prominent action of butyrate over β‑hydroxybutyrate as histone deacetylase inhibitor, transcriptional modulator and anti-inflammatory molecule. Scientific Reports, édition en ligne du 24 janvier 2019