Commotions au rugby : un casse-tête pour la recherche

L’actualité du rugby français, ce sont la Coupe du monde 2023, les succès de son équipe fanion, les imbroglios au sein de la Fédération française de rugby... et les commotions avec leur potentiel impact sur la santé des joueurs à court, moyen et long termes. En la matière, les incertitudes sont encore grandes, mais la recherche tente de les lever.

Un article à retrouver dans le magazine de l’Inserm n°57

Tous les scientifiques interrogés l’assurent : le rugby n’est pas le sport le plus à risque de commotions, mais en France, c’est celui pour lequel on en parle le plus. « La commotion a longtemps été négligée, en partie car dans 90 % des cas, elle guérit toute seule et assez vite, explique David Brauge, neurochirurgien à Toulouse et président de la commission Commotions cérébrales de la Fédération française de rugby (FFR). Or, le problème réside dans les commotions successives, avant que le joueur soit totalement remis de la précédente. » Pour éviter ces situations, des dispositifs règlementaires ont récemment été mis en place. Néanmoins, il subsiste des zones d’ombre sur lesquelles, en France, se penche une poignée de médecins et de chercheurs, notamment à l’Inserm.

« Le cerveau soumis à des chocs fonctionne un peu comme un flipper : alors que des secousses ne le font pas tilter, une, un peu plus violente, provoque son dysfonctionnement. C’est la commotion », illustre Patrice Péran, directeur de recherche Inserm au laboratoire ToNIC (Toulouse NeuroImaging Center). « Ce dysfonctionnement entraîne les premiers symptômes : KO, ataxie – le joueur titube –, confusion... », complète David Brauge. Des signes parfois fugaces, d’où la présence lors des matchs professionnels, du « superviseur vidéo médicale ». Il traque ces symptômes et en informe, quasi en temps réel, le médecin de l’équipe. Une étude de Philippe Decq, neurochirurgien à l’hôpital Beaujon à Clichy et membre de la commission médicale de World Rugby, en confirme l’intérêt et a identifié un « nouveau » symptôme à surveiller : l’hypotonie des épaules.

La reprise en question

S’il y a donc un mieux sur le terrain, du moins chez les professionnels, après une commotion, comment déterminer qu’un joueur peut reprendre le rugby ? C’est là que les choses se corsent. « On ne voit rien au scanner et les tests réalisés 36 heures après une commotion comportent des biais car les professionnels, qui les passent tous les ans à l’intersaison, les maîtrisent, explique Patrice Péran. Il faut donc trouver un panel d’outils d’évaluation plus objectifs. »

Vincent Sapin de l’institut Génétique, reproduction et développement à Clermont-Ferrand et Nicola Marchi de l’Institut de génomique fonctionnelle à Montpellier sont en quête de biomarqueurs sanguins. « J’ai établi que la protéine S100‑B (pour S100 Calcium binding protein B) est un indicateur de la commotion chez les footballeurs américains, relate Nicola Marchi. Je pensais donc que ce serait pareil au rugby. » Leurs études menées chez des rugbymen professionnels le confirment... sous certaines conditions. « S100‑B est bien sécrétée par des cellules du cerveau “blessé”, mais aussi par d’autres organes soumis à des coups répétés comme au rugby, explique-t-il. Et comme elle dépend de l’âge, du poids, de l’origine..., chaque joueur a son propre taux de base. » « Nos études ont donc démontré que juste après un match, les rugbymen – commotionnés ou non – voient leur taux s’élever, puis 36 à 48 heures après, il revient à son niveau initial, sauf chez le joueur dont le cerveau reste en souffrance », poursuit Vincent Sapin. Aujourd’hui, S100‑B fait partie des examens de suivi de la commotion.

Un suivi délicat

Autre outil objectif potentiel : l’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf) évaluée dans l’étude Rugby.com menée par Patrice Péran, David Brauge et Adeline Julien, neuropsychologue et doctorante au laboratoire ToNIC. « 25 rugbymen commotionnés et 19 sportifs hors sport de contact qui servaient de témoins ont passé des IRM et des tests neuropsychologiques en trois temps : pour les rugbymen, quelques jours après la commotion, puis quand les symptômes avaient disparu et à 3 mois, et au même rythme pour les témoins », explique David Brauge. L’analyse des deux premières visites d’une partie des participants dévoile que le réseau neuronal du « mode par défaut » qui s’active quand on laisse cours à ses pensées, présente des anomalies juste après la commotion et que celles-ci persistent malgré la disparition des symptômes cliniques. Autrement dit, le joueur va bien, mais pas son cerveau. Côté neuropsychologie, « certains tests semblent peu sensibles pour ces jeunes athlètes aux troubles mineurs, et d’autres [comme l’a indiqué Patrice Péran, ndlr.] sont “trop” maîtrisés par ces professionnels », complète Adeline Julien.

Si le suivi des commotions devrait s’améliorer, « la question reste entière pour leur impact à long terme et celui des sub-commotions ou micro-commotions », souligne Patrice Péran. Philippe Decq a établi un lien entre commotions répétées et troubles de l’humeur, mais des chercheurs étrangers font état d’atteintes neurodégénératives sévères. Des études, et les moyens qui vont avec, sont donc nécessaires. De même pour les joueuses, les plus jeunes et le monde amateur. « Celui-ci représente 90 % des pratiquants et je ne supporte plus l’inégalité de traitement ! s’insurge le neurochirurgien. Nous souhaitons donc mettre en place un centre de téléconsultation public – j’y tiens – afin que les amateurs soient aussi bien suivis, et dans tous les sports. » Une lueur d’espoir pour les plus de 300 000 licenciés du ballon ovale.


David Brauge : clinique universitaire du sport, hôpital Pierre- Paul Riquet

Patrice Péran, Adeline Julien : unité 1214 Inserm/Université Toulouse III – Paul-Sabatier

Philippe Decq : institut de biomécanique humaine Georges- Charpak

Vincent Sapin : unité 1103 Inserm/CNRS/Université Clermont Auvergne

Nicola Marchi : unité 1191 Inserm/CNRS/Université de Montpellier


Auteur : F. D. M.

À lire aussi