CKD MICROBIOME : quand le microbiote influe sur la santé de nos reins

Le microbiote intestinal regroupe une infinité de micro-organismes qui vivent en symbiose avec notre corps. Ce « réservoir » se nourrit de nutriments non assimilables par notre organisme et métabolise une multitude de composés alimentaires. Lors de ce processus, des toxines sont synthétisées, parfois en quantité trop importante, représentant un éventuel risque pour la santé des personnes atteintes d’une maladie rénale, car ils ne sont plus en mesure de les éliminer.

À Nancy, Sandra Wagner tente de décrypter les liens entre certaines de ces toxines, la composition de notre microbiote, l’alimentation et leur impact sur la progression de la maladie rénale chronique dans un projet innovant nommé CKD MICROBIOME. 

Menés en association étroite avec le Centre de recherche en Épidémiologie et en Santé des Populations de Villejuif, ces travaux précurseurs ont été subventionnés par l’Agence nationale de la recherche. Pour InScience, le festival de culture scientifique de l’Inserm, elle nous présente les enjeux de ces recherches situées au carrefour entre nutrition et santé.

Pouvez-vous résumer votre parcours ?

Sandra Wagner : Je suis titulaire d’un doctorat en sciences de l’alimentation obtenu au Centre des Sciences du goût et de l’alimentation, situé à Dijon et rattaché à l’Inrae. J’ai poursuivi mes recherches avec un premier post-doctorat en épidémiologie nutritionnelle mené au CESP sous la direction de Blandine de Lauzon-Guillain.

Passionnée par les questions liées au rôle de l’alimentation sur notre santé, , j’ai continué avec un second post-doctorat à partir de 2015, cette fois-ci sous la direction de Bénédicte Stengel mais toujours au CESP, qui visait à évaluer la consommation alimentaire de plus de 3 000 patients souffrant d’une maladie rénale chronique afin de mieux décortiquer les liens entre leur régime quotidien et la progression de leur pathologie. Ces patients, inclus dans une étude nommée CKD-REIN, financée par le programme Cohortes-Investissements d’Avenir, ont été suivis sur cinq ans. 

L’insuffisance rénale touche 10 à 15% de la population adulte et peut avoir des conséquences lourdes sur la santé : elle est en effet associée à un risque élevé d’évoluer vers une défaillance rénale, de développer une maladie cardiovasculaire ou de décéder précocement. À ce jour, aucun traitement curatif n’existe, et l’influence de l’alimentation sur les reins reste un domaine peu exploré de l’épidémiologie, étant pourtant la meilleure piste pour préserver la fonction rénale.

Ainsi, depuis 2018, je travaille dans un centre d’investigation clinique, une structure située au centre hospitalier de Nancy, mais placée sous la tutelle de l’Inserm, afin de poursuivre ces importants travaux avec Nicolas Girerd, en collaboration avec l’équipe de Bénédicte et celle qui s’occupe de la cohorte CKD-REIN. Un de mes projets phare s’intéresse particulièrement au microbiote intestinal, avec des partenaires de l’Inrae, de l’Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines, et le laboratoire lyonnais de l’Inserm CarMeN.

Il s’agit de CKD_MICROBIOME…

S. W. : Exactement. Un des problèmes majeurs dans la maladie rénale chronique est le défaut d’élimination des déchets appelés toxines urémiques. En temps normal, ces dernières sont éliminées par les reins, mais chez les malades, elles s’accumulent dans l’organisme et participent à la progression de la maladie, à l’inflammation et à d’autres complications. C’est le microbiote qui, en jouant son rôle fondamental dans la digestion, produit la plupart de ces toxines à partir de composants alimentaires.

Ainsi, nous soupçonnons que le régime alimentaire d’un individu a un rôle important sur la concentration sanguine de ces toxines. Néanmoins, à ce jour, les relations entre la composition du microbiote, toxines urémiques et progression de la pathologie n’ont jamais été explorées chez l’Homme. Et l’impact de l’alimentation sur cette relation est encore méconnu, en particulier chez les patients avec une maladie rénale chronique qui ont de fortes restrictions alimentaires… Mon objectif est donc d’identifier les caractéristiques du microbiote intestinal associées à une sur-production de toxines urémiques et à une progression plus rapide de la maladie rénale chronique. Je souhaite également évaluer le potentiel impact de l’alimentation sur cette relation.

Ce projet s’appuie sur un sous-échantillon de 240 patients de la cohorte CKD-REIN, avec un recueil simultané d’échantillons de sang et de selles, deux fois à 3 ans d’intervalle, ainsi que de données sur l’alimentation. De l’ADN a été extrait de ces collectes afin de déterminer la présence et l’abondance de chaque espèce microbienne et leur fonctionnalité pour tous les échantillons.

À ce jour, que mettent en évidence vos résultats ?

S. W. : Nous avons obtenu des résultats préliminaires prometteurs, avec des différences significatives de composition du microbiote entre malades et population saine et selon le niveau de fonction rénale. Nous avons pu observer que les patients avec un niveau de fonction rénale plus altéré avaient un microbiote enrichi en espèces bactériennes ayant une enzyme impliquée dans la production de toxines urémiques.

Ces premiers éléments montrent les patients atteints d’une maladie rénale chronique ont un microbiote altéré, d’autant plus quand les patients sont à un stade avancé. Des analyses sont encore en cours pour comprendre les liens entre composition du microbiote, toxines urémiques et progression de la maladie, ainsi que le rôle de l’alimentation.

Ce qui vous plaît le plus dans votre métier ?

S. W. : Chaque projet de recherche mène à de nouvelles questions pour apprendre toujours plus et faire avancer la science. Et c’est ce côté qui me plaît, on ne finit jamais d’apprendre ! J’aime aussi l’aspect collaboratif : je travaille avec d’autres chercheurs en épidémiologie et en laboratoire, des cardiologues et des néphrologues, des biostatisticiens, des chefs de projet, et j’encadre des stagiaires chaque année.

Enfin, ma satisfaction ultime est de savoir que les résultats de mes recherches vont pouvoir aider les patients, leur donner des pistes pour améliorer leur santé ou prévenir une progression de la maladie. Mon domaine de recherche allie alimentation et santé. L’alimentation est vraiment le premier levier pour agir sur la santé, et manger permet à notre corps de fonctionner. C’est un domaine qui concerne tout le monde, pouvoir communiquer autour de mes projets de recherche et résultats est passionnant !