CBD : Quel impact sur la santé ?

Les ventes de produits CBD se multiplient, mettant en avant des vertus « bien-être ». Mais scientifiquement, rien n’est prouvé sur les éventuels effets thérapeutiques du cannabidiol.

Un article à retrouver dans le Magazine de l’Inserm n°56

À chaque coin de rue, les boutiques de CBD fleurissent. Des rayons dédiés surgissent dans les grandes surfaces et Internet n’est pas en reste. Si l’on se fie aux étiquettes, le cannabidiol fait tout ou presque : « réduction des douleurs », « antistress », « antifatigue », « stimulant »… Que faut-il en penser ? Pour l’instant, la science reste prudente. Les essais cliniques manquent pour confirmer d’éventuels effets thérapeutiques du CBD sur l’anxiété, le sommeil ou autre, ou ne concernent que de trop petites cohortes de patients pour être représentatifs. « Le CBD n’est pas un produit brevetable en tant que tel, donc peu d’essais cliniques sont financés », indique Tangui Barré, du laboratoire Sciences économiques et sociales de la santé et traitement de l’information médicale (Sesstim) à Marseille. Certaines pistes font tout de même l’objet de recherches, comme celles d’utiliser le CBD contre les addictions.

Substituer le THC par du CBD ?

Chez la souris, une méta-analyse réalisée en 2019 par des équipes françaises de l’Inserm semble indiquer que l’usage du CBD induit une diminution de la consommation d’alcool et une très légère réduction des lésions au foie. Reste à voir si ces effets sont transposables chez l’humain. Benjamin Rolland, du centre hospitalier du Vinatier, à Lyon, va lancer l’étude Caramel, un premier essai clinique sur le traitement de l’alcoolodépendance par CBD, au deuxième semestre 2023. En parallèle, Clémence Casanova, post-doctorante au Sesstim, travaille sur l’acceptabilité d’un tel traitement.

Côté addiction au cannabis, l’usage du seul CBD, sans THC, peut-il être une bonne substitution ? Contrairement au THC, le CBD ne provoque en effet pas de dépendance. Une étude menée par Tangui Barré sur 1 500 personnes a montré que 11 % d’entre elles utilisaient le CBD pour diminuer leur consommation de cannabis, avec succès dans un peu plus de la moitié des cas. « Le CBD pourrait permettre de réduire l’usage de cannabis. Mais impossible de substituer brutalement et complètement en cas de dépendance, car le CBD ne se fixe pas sur les mêmes récepteurs que le THC dans le système endocannabinoïde, détaille Bruno Revol, du centre d’addictovigilance de Grenoble. Il se fixe par contre sur le récepteur sérotoninergique 5‑HT1A, donc nous pouvons en attendre un effet anxiolytique, qui pourrait atténuer les symptômes de manque. Il n’est pas dénué d’intérêt », poursuit-il. Un effet prévisible mais qui reste encore à démontrer. « Ce n’est pas parce qu’une molécule s’accroche à un récepteur qu’il en découle un effet thérapeutique, modère Nicolas Authier, spécialiste en pharmacologie et en addictologie à Clermont-Ferrand. Que des patients affirment ressentir des effets bénéfiques n’est pas un problème, à condition qu’il n’y ait pas de perte de chances par rapport à un éventuel autre traitement. »

Plus d’interdiction autour du CBD

Un seul médicament au cannabidiol est pour l’instant autorisé en France, l’Epidyolex. Il est réservé au traitement de crises d’épilepsie associées au syndrome de Lennox Gastaut et au syndrome de Dravet. Bien que le mécanisme d’action précis du CBD comme anticonvulsivant ne soit pas connu, il semble réduire l’hyperexcitabilité des neurones.

Cette unique indication thérapeutique du cannabidiol n’empêche pas le marché de se développer largement. Comme le rappelle Nicolas Authier, auteur du Petit livre du CBD : « La France est le premier producteur de chanvre en Europe, et le marché des extraits de chanvre, hors fleurs, y représente 700 millions d’euros. » Fin 2022, le Conseil d’État a levé la dernière interdiction concernant le cannabidiol, en annulant le décret qui empêchait la vente de fleurs et de feuilles ayant un taux de THC inférieur à 0,3 %. En matière de santé publique, Nicolas Authier rappelle que « le problème majeur n’est pas que ces fleurs désormais autorisées contiennent du CBD, mais qu’elles sont fumées, souvent en association avec du tabac. Il est prouvé que la combustion provoque des atteintes graves des voies respiratoires, dont des cancers », avertit le pharmacologue.

Un manque d’étiquetage et de contrôle qualité

Plus de 10 % des Français ont déjà essayé un produit contenant du CBD, selon une enquête menée par Tangui Barré et le Sesstim. Et 5 % en consomment au moins une fois par semaine. Si le CBD ne provoque effectivement pas de dépendance, la substance n’en reste pas moins psychotrope car elle interagit avec des récepteurs du système nerveux central. « Le cannabidiol a des effets psychotropes, mais cela ne veut pas dire que c’est une substance addictive ni thérapeutique », détaille Nicolas Authier. Avant de pointer du doigt que la molécule se retrouve « classée comme substance vénéneuse dans le cas de l’Epidyolex et non réglementée dans les boutiques de CBD. »

Pour les spécialistes, ce flou met en danger les consommateurs. « Le CBD ne fait pas l’objet d’un contrôle qualité ni d’un étiquetage réglementaires, indique Tangui Barré. Or, les produits peuvent varier grandement selon la plante, la culture, le séchage, l’extraction… » Certains peuvent contenir des métaux lourds ou des résidus de produits phytosanitaires. Quant au seuil légal de moins de 0,3 % de THC, il peut suffire à altérer la conduite automobile. Sans compter les effets indésirables qui peuvent apparaître, comme la somnolence, la fatigue, des diarrhées, une perte d’appétit… Une étude récente menée chez la souris par Olivier Manzoni et Pascale Chavis à l’Institut de neurobiologie de la méditerranée à Marseille montre même des déficits cognitifs et de communication lors d’une exposition au CBD in utero.

Enfin, des risques d’interactions médicamenteuses existent. « Même à faible dose, le CBD peut interagir avec de nombreuses molécules dans l’organisme, comme les hormones thyroïdiennes, des antiépileptiques, des antidépresseurs, des anticoagulants et des anti-inflammatoires », décrit Tangui Barré. « Globalement, tous les médicaments dits à marge thérapeutique étroite, ceux qui ont un mécanisme d’action très précis, avec un équilibre délicat entre efficacité et toxicité, doivent faire l’objet d’attention car le CBD peut fausser la donne », résume Bruno Revol. De quoi rester prudent face à des stratégies marketing parfois très agressives.


THC vs. CBD

THC (delta 9 – tétrahydrocannabinol) et CBD (cannabidiol) sont tous deux des cannabinoïdes, présents dans le cannabis. Le THC est illégal en France. Il a d’importants effets psychotropes, et provoque une forte dépendance avec syndrome de sevrage à l’arrêt. Le CBD est autorisé en France et ne présente pas de risque de dépendance.




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