Cancer du sein : Offrir une médecine sur mesure grâce aux organoïdes

Il y a un an débutait l’essai Triplex, qui vise à mettre en place la culture d’organoïdes tumoraux à partir de biopsies de cancer du sein triple négatif. Le but : tester des traitements sur ces « tumoroïdes » et, demain, offrir un traitement personnalisé aux patientes.

Un article à retrouver dans le magazine de l’Inserm n°60

La révolution de la médecine de précision est en cours. Aujourd’hui, de plus en plus de maladies, y compris les cancers, sont concernées : on cherche à apporter au patient une solution personnalisée, un traitement sur mesure. L’une des pathologies étudiées sous ce nouveau prisme est le cancer du sein triple négatif. « On dénombre plus de 60 000 nouveaux cas de cancers du sein par an en France, resitue George Émile, oncologue au centre François-Baclesse de Caen. Parmi eux, 10 à 15 % sont des “triple négatif”, c’est-à-dire que les cellules tumorales n’expriment à leur surface ni les récepteurs aux hormones, ni le récepteur HER2. Or ce sont ces récepteurs qui sont visés par les thérapies ciblées qu’on utilise en clinique aujourd’hui. En conséquence, le taux de guérison est plus faible, et le taux de rechute plus important. » Environ un tiers des patientes ne répondent pas au traitement. D’où la nécessité d’explorer d’autres voies, plus ciblées, plus personnalisées.

Mimer les tumeurs

Les organoïdes ont ce potentiel. Ces structures cellulaires miment l’architecture et la fonction d’un organe, ou d’une tumeur – on parle alors de tumoroïde. « On place les cellules de la tumeur recueillies par biopsie dans une matrice extracellulaire avant d’ajouter un milieu de culture et on obtient des tumoroïdes au bout de deux à trois semaines », résume Louis-Bastien Weiswald, chercheur au sein de l’unité Anticipe, à Caen. Bref, la tumeur de la patiente est partiellement reproduite ex vivo. Cela permet notamment de tester des traitements. Caen jouit d’une reconnaissance internationale dans ce secteur. En 2020, Louis-Bastien Weiswald et son collègue Laurent Poulain, directeur adjoint de l’unité Anticipe, ont initié la création de la plateforme Orgapred, au sein du laboratoire, dont l’objectif est de produire des tumoroïdes pour la médecine personnalisée et la recherche translationnelle. À ce jour, la plateforme en produit pour différents projets de recherche dans plusieurs types de cancer (sein, voies aérodigestives supérieures, gastrique…) dans lesquels de nouvelles approches thérapeutiques sont testées. Car l’objectif final est bien là : trouver des traitements efficaces. « Aujourd’hui, il commence à y avoir des preuves de corrélation entre la réponse des tumoroïdes et la réponse clinique – du patient – à un traitement, rapporte Louis-Bastien Weiswald. Il y a donc de forts espoirs de pouvoir réaliser des tests fonctionnels prédictifs : on expose les tumoroïdes à différents traitements, on évalue les réponses, et on donne au patient celui qui a fourni le meilleur résultat. »

Image présentant un tumoro¨de de cancer du sein, obtenue par microscopie à fluorescence. On voit un amas sphérique de points de couleur.
Mise en évidence de la réparation de l’ADN dans un tumoroïde de cancer du sein après irradiation. Les noyaux sont marqués en bleu, les cellules en division en vert, et les foyers de réparation de l’ADN en rouge. © Lucie Thorel U1086 Anticipe/Plateforme Virtual’His.Univ. Caen

Tumoroïdes enrichis

Dans le cadre du cancer du sein triple négatif, la mise en place de ces tests a récemment été compliquée par une évolution dans la prise en charge de ces cancers. Auparavant, le traitement classique consistait en une chimiothérapie pour réduire la taille de la tumeur puis en une chirurgie pour l’extraire. Aujourd’hui, les patientes sont traitées par chimiothérapie et immunothérapie. Ce dernier traitement vise à faire réagir le système immunitaire des personnes malades, pour combattre la tumeur. Or les cellules immunitaires que l’on trouve dans la tumeur, aux côtés des cellules cancéreuses, ne sont pas présentes dans les modèles de tumoroïdes conventionnels. Dans ces conditions, il est impossible de correctement évaluer l’efficacité d’une immunothérapie. Il faut donc développer des tumoroïdes dits « enrichis », qui comportent aussi des cellules immunitaires de la patiente.

C’est précisément l’un des objectifs de l’étude Triplex, l’essai clinique mené par l’oncologue George Émile, avec le soutien de la plateforme Orgapred. Toutefois, dans le cas du cancer du sein triple négatif, ce travail est rendu d’autant plus difficile par la taille de l’échantillon prélevé lors de la biopsie. « C’est le contenu d’une aiguille », précise George Émile. Il est donc impossible d’en isoler les cellules immunitaires en quantité suffisante. « Nous devons alors prélever, dans le sang périphérique, des lymphocytes T que l’on remet en culture avec les tumoroïdes générés en parallèle », ajoute-t-il. Mais contrairement aux cellules immunitaires présentes dans la tumeur, ces lymphocytes T n’ont pas forcément d’action antitumorale. « Il faut alors les éduquer, ou isoler les lymphocytes T spécifiques de la tumeur, détaille Jordane Divoux, chargé de recherche sur la plateforme Orgapred. C’est un protocole très complexe pour lequel tout reste à écrire ! » Et comme si tout ce travail ne semblait pas assez compliqué, une autre difficulté s’y ajoute : l’aspect temporel.

Quand le temps est compté

« Le challenge est de maintenir les tumoroïdes en culture suffisamment longtemps pour pouvoir travailler dessus et évaluer la réponse aux traitements », explique Jordane Divoux. Une tâche ardue quand on sait que « les cellules de cancer du sein triple négatif sont parmi les plus difficiles à mettre en culture », rapporte George Émile. Il faut donc travailler rapidement, et pour cela, à une échelle plus petite encore que la tumeur originale. Dans le même temps, le travail sur les lymphocytes doit aussi être réalisé dans les meilleurs délais de façon à concorder avec le moment où assez de tumoroïdes auront été développés pour débuter les expériences. Une vraie course contre la montre. « En parallèle, mon travail va consister à développer des tests fonctionnels qui permettront de vérifier que le traitement cible bien les cellules tumorales, et que les cellules immunitaires, elles, restent en vie », décrit Jordane Divoux.

L’essai Triplex a débuté le 31 janvier 2023. Il durera 4 ans. Aujourd’hui, une quarantaine de patientes ont été incluses dans cette étude qui vise 163 participantes. Mais il s’agit encore d’une étude très exploratoire, prévient Laurent Poulain. C’est-à-dire que l’étude Triplex ne vise pas encore à soigner, mais à mettre au point une méthode pour tester des traitements personnalisés. « Il ne faut pas survendre la capacité des tumoroïdes à s’implémenter bientôt en médecine clinique de routine, même si c’est notre objectif. D’ici la fin de l’essai, on devrait avoir des preuves assez solides pour proposer des essais interventionnels. » Et si ce n’est pas le premier objectif de l’essai Triplex, les organoïdes présentent un autre avantage : ils constituent une des solutions pour limiter l’utilisation d’animaux dans la recherche.



Auteur : B. S.

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Image de cellules observées en microscopie
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