Cancer de la prostate : un acteur clé de la résistance à l’hormonothérapie identifié

La prise en charge des cancers de la prostate peut être compliquée par l’apparition d’une résistance à l’un des principaux traitements disponibles : l’hormonothérapie. Selon des études menées chez la souris, rendre silencieux un facteur qui permet aux cellules de s’adapter au manque d’oxygène pourrait rétablir la sensibilité des cellules cancéreuses à cette approche thérapeutique.

Le développement d’un cancer de la prostate dépend de la testostérone, la principale hormone masculine (ou androgène). En dehors de l’ablation de la prostate, l’un des traitements les plus efficaces contre cette maladie repose dès lors sur l’hormonothérapie (ou « castration chimique ») : cette approche réduit la croissance des tumeurs en les privant d’androgènes. Cependant, environ un tiers des cancers de la prostate localisés rechutent, et finissent par perdre leur sensibilité à l’hormonothérapie. On parle alors de cancer de la prostate résistant à la castration (CPRC). Comprendre les mécanismes impliqués dans l’apparition de cette résistance aiderait à trouver des médicaments pour la contourner. Dans cet objectif, Daniel Metzger et son équipe de l’Institut de génétique et de biologie moléculaire et cellulaire à Strasbourg viennent d’identifier le rôle clé de la protéine HIF-1α (pour hypoxia inducible factor‑1) dans ce processus. Il s’agit d’un facteur de transcription utilisé par les cellules saines pour fonctionner dans des conditions pauvres en oxygène (ou hypoxie), mais aussi par les cellules cancéreuses qui doivent s’adapter à une baisse du niveau d’oxygène lorsque le volume tumoral devient important.

Les chercheurs strasbourgeois ont conduit leurs travaux chez la souris. Ils ont développé un modèle de cancer de la prostate en introduisant dans le génome des animaux une mutation du gène PTEN, un des gènes les plus fréquemment altérés chez les hommes atteints par la maladie : « Le produit de ce gène contrôle la prolifération et la survie des cellules. Muté, il perd cette capacité, et conduit à la multiplication anarchique des cellules et au développement tumoral. En mutant PTEN dans les cellules prostatiques de souris adultes, nous avons obtenu un modèle qui mime de façon assez fidèle ce que l’on observe chez les hommes, avec un développement lent du cancer, qui répond initialement à l’hormonothérapie, puis devient progressivement résistant », explique Daniel Metzger.

Faire taire HIF‑1a

Pour identifier les voies biologiques par lesquelles ces cellules cancéreuses échappent au traitement, les chercheurs ont procédé à l’analyse de l’expression génétique de cellules uniques des tumeurs.« Ce travail a montré que l’expression de HIF‑1a et celle des gènes qu’il régule est d’autant plus importante que la maladie est avancée », affirme Daniel Metzger. L’équipe a alors développé un autre modèle de cancer prostatique dans lequel les gènes PTEN et HIF-1α étaient simultanément mutés, pour savoir si la surexpression du facteur HIF-1α jouait un rôle dans le développement de l’hormonorésistance. Dans ce second modèle, le développement du cancer était plus lent que chez les souris qui portaient uniquement la mutation du gène PTEN. Par ailleurs, les cellules tumorales restaient sensibles à la privation d’androgènes, même lorsque le volume de la tumeur était élevé. Enfin, les mêmes résultats ont été obtenu en inhibant pharmacologiquement HIF-1α chez les souris uniquement porteuses de la mutation de PTEN. « Nous avons vérifié qu’une telle approche pharmacologique était efficace in vitro sur des lignées de cellules cancéreuses prostatiques humaines, mais des études cliniques sont évidemment indispensables pour confirmer ces résultats encourageants chez des patients, précise le chercheur. Julie Terzic, doctorante au sein de l’équipe, a mené ces premières expérimentations avec le post-doctorant Mohamed Abu el Maaty. Elle devrait poursuivre ce travail chez l’homme. » Plusieurs inhibiteurs d’HIF-1α sont actuellement développés en recherche pharmacologique, ce qui permettrait de développer rapidement un traitement si cette piste se confirme. « À terme, on pourrait imaginer que le traitement du cancer de la prostate évolue d’une simple hormonothérapie à une bithérapie associant hormonothérapie et inhibiteur HIF-1α. »

Une piste qui pourrait en ouvrir d’autres

Sur un plan plus fondamental, le travail n’est pas terminé : si cette option apporte un nouvel espoir aux malades, on peut aussi penser que les cellules cancéreuses sont suffisamment adaptables pour qu’elles parviennent à trouver des mécanismes de résistance aux inhibiteurs d’HIF‑1α. « Nous voulons donc mieux comprendre comment la voie HIF‑1α s’intensifie et impacte le microenvironnement tumoral dans les phases précoces de la maladie. Cela nous permettrait de trouver de nouveaux angles d’attaque contre la maladie et également de comprendre les mécanismes qui rendent l’immunité antitumorale inefficace dans ce contexte. » Ces travaux pourraient en outre aider à identifier des marqueurs biologiques diagnostiques pour savoir quand traiter : « Aujourd’hui, ce sont uniquement les données cliniques ou celles tirées d’une biopsie qui permettent aux cliniciens de déterminer qu’une tumeur devient plus agressive et relève d’un traitement adapté. Nous espérons pouvoir identifier des biomarqueurs détectables au niveau sanguin qui apporteraient la même information », conclut Daniel Metzger.


Daniel Metzger est responsable de l’équipe Rôles physiopathologiques des voies de signalisation des récepteurs nucléaires à l’Institut de génétique et de biologie moléculaire et cellulaire (IGBMC, Inserm U1258 /CNRS UMR 7104/ Université de Strasbourg), à Illkirch.


Source : J. Terzic et al. Hypoxia-inducible factor 1A inhibition overcomes castration resistance of prostate tumors. EMBO Mol Med, 18 avril 2023 ; doi : 10.15252/emmm.202217209

Auteur : C. G.

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