Cancer colorectal : une toxine bactérienne impliquée dans la chimiorésistance

Une équipe Inserm lilloise, en collaboration avec d’autres laboratoires Inserm, vient de détailler la cascade d’évènements qui explique comment certaines bactéries du microbiote, une fois infiltrées au sein d’une tumeur colorectale, limitent l’action de la chimiothérapie.

Certains cancers colorectaux, notamment ceux qui touchent le segment droit du côlon, ne répondent pas toujours correctement aux chimiothérapies conventionnelles comme l’oxaliplatine. L’analyse du microenvironnement de tumeurs, issues de patients suivis au CHU Henri-Mondor à Créteil et au CHU de Clermont-Ferrand, a permis à des chercheurs lillois d’y identifier une forte présence de bactéries de la famille des Escherichia coli. Or, il a par ailleurs été décrit que certaines de ces bactéries produisent une toxine intestinale – la colibactine – à la fois génotoxique (c’est-à-dire responsable de lésions dans l’ADN des cellules de leur hôte) et protumorale. Les chercheurs ont pu confirmer que le pronostic des tumeurs analysées dépend de la présence intratumorale d’Escherichia coli productrices de colibactine (ou CoPEc pour Colibactin producing Escherichia coli). Ils ont ensuite cherché à comprendre les mécanismes qui lient la présence de ces bactéries et l’évolution de la maladie. Ce travail, mené avec Iradj Sobhani du CHU Henri-Mondor, les a conduits à mettre en évidence des modifications du métabolisme des lipides et du comportement des cellules cancéreuses infectées, qui deviennent moins visibles par l’immunité antitumorale du patient et moins sensibles à l’action de la chimiothérapie.

L’originalité de ce travail a été de s’attacher à la géolocalisation des bactéries, des métabolites et des cellules immunitaires au sein du microenvironnement. Une approche qui a pu être menée à bien grâce au soutien financier du programme Hétérogénéité tumorale du plan Cancer, de BPIfrance, de la fondation i‑SITE et du programme START-AIRR de la région Hauts-de-France. Les tumeurs de mauvais pronostic étaient plus massivement infiltrées par les CoPEc que les autres. « Mais la répartition de ces bactéries n’est pas homogène au sein d’un tissu cancéreux », explique Mathias Chamaillard, qui a dirigé le travail de Nilmara de Oliveira Alves Brito, chercheuse Inserm dans son laboratoire. « Aussi, nous avons analysé l’activité métabolique et immunitaire au voisinage des bactéries. Il est apparu que les cellules tumorales qui sont à leur contact n’ont pas le même profil immunométabolique que celles qui en sont plus éloignées : elles sont bien plus riches en gouttelettes de glycérophospholipides, des composés connus pour être immunosuppressifs. »

L’efficacité de la chimiothérapie repose aussi sur l’immunité

Mais comment des molécules qui réduisent l’activité de l’immunité antitumorale pourraient-elles favoriser la résistance à la chimiothérapie ? « Souvent, l’activité de la chimiothérapie est réduite à son action cytotoxique, reconnaît le chercheur. Mais son efficacité est aussi médiée par nos mécanismes de défense : en tuant les cellules cancéreuses, la chimiothérapie engendre la formation de débris cellulaires qui sont repérés par les lymphocytes T CD8. Ces cellules immunitaires recrutent alors d’autres effecteurs pour infiltrer ensemble la tumeur et atteindre des cellules tumorales qui n’ont pas été forcément en contact avec la chimiothérapie. C’est la notion de mort cellulaire immunogène. » Les analyses de l’équipe lilloise montrent d’ailleurs que les zones tissulaires riches en glycérophospholipides sont moins infiltrées par ces lymphocytes que les zones où ne se trouvaient pas ces bactéries.

D’autres travaux confortent ces résultats. Menés par Richard Bonnet dans l’unité clermontoise Microbes intestin inflammation et susceptibilité de l’hôte, ils confirment que des cellules tumorales infectées par des CoPEc deviennent moins différenciées et, ainsi, davantage chimiorésistantes. « Nos résultats clarifient la manière dont la colibactine peut favoriser la chimiorésistance. Cela ouvre la voie au développement de nouvelles thérapies pour cibler les étapes qui permettent l’accumulation de gouttelettes lipidiques et la dédifférenciation des cellules. »


Mathias Chamaillard est directeur de recherche Inserm, responsable de l’équipe Inflammasome et canaux ionique et directeur adjoint du laboratoire Physiologie cellulaire : canaux ioniques, inflammation et cancer (unité 1003 Inserm/Université de Lille), à ONCOLIlle.

Richard Bonnet est chercheur dans l’unité Microbes, intestin, inflammation et susceptibilité de l’hôte (unité 1071 Inserm/université Clermont Auvergne) à Clermont-Ferrand


Ces travaux ont reçu le soutien de la Fondation pour la recherche médicale.

Source : N. de Oliveira Alves et coll. The colibactin-producing Escherichia coli alters the tumor microenvironment to immunosuppressive lipid overload facilitating colorectal cancer progression and chemoresistance. Gut Microbes, 28 février 2024 ; doi : 10.1080/19490976.2024.2320291

Autrice : C. G.

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