Cancer bronchique : l’infection par le virus de la grippe aggraverait son évolution

La grippe saisonnière semble favoriser la progression des tumeurs du poumon. C’est ce qu’indiquent les résultats d’une étude conduite dans un modèle murin d’adénocarcinome pulmonaire. Si les mécanismes moléculaires impliqués restent encore à décrypter de façon exhaustive, il est d’ores et déjà raisonnable de recommander la vaccination antigrippale aux patients qui souffrent d’un cancer bronchique et à leurs proches.

Chez les patients atteints d’un cancer du poumon, la grippe saisonnière est souvent plus sévère, avec un risque de mortalité associée plus élevé que dans la population générale. Pour comprendre les liens entre ces deux maladies, l’une infectieuse et l’autre tumorale, l’équipe dirigée par Isabelle Cremer au centre de recherche des Cordeliers à Paris a analysé la façon dont le virus responsable de la grippe (influenza) module les interactions entre cellules cancéreuses et immunitaires dans le microenvironnement tumoral. Ce travail a conduit les chercheurs à observer que, au moins chez la souris, cette infection facilite la progression de la maladie cancéreuse : elle est associée à une augmentation du volume de la tumeur et à une réduction de l’activité des cellules immunitaires antitumorales. En outre, elle favorise probablement l’élimination de certains médicaments de chimiothérapie.

Un récepteur immunitaire présent sur les cellules tumorales

Dans un premier temps, Isabelle Cremer et ses collaborateurs ont recherché le récepteur qui permet au virus de la grippe de bouleverser le fonctionnement des cellules au niveau pulmonaire. Ils se sont intéressés à TLR7 : ce récepteur est une sentinelle qui reconnaît spécifiquement certains agents pathogènes et active alors nos défenses immunitaires. « Dans la famille des TLR (pour Toll-like receptors), TLR7 est celui qui reconnaît les ARN du virus influenza. Or, nous avons précédemment observé que la présence de TLR7 sur les cellules tumorales bronchiques de certains patients a un effet pro-tumoral, associé à un mauvais pronostic et à une résistance à la chimiothérapie. Nous avons donc voulu savoir si le virus influenza pouvait infecter les cellules cancéreuses et si cette infection favorisait l’effet pro-tumoral de TRL7 », explique la chercheuse.

Pour cela, l’équipe a eu recours à un modèle murin de cancer bronchique. Les chercheurs ont pu confirmer que le virus infecte bel et bien les cellules tumorales des souris, et que cette infection conduit à une croissance plus importante de la tumeur, par comparaison avec ce que l’on observe chez des souris non infectées. Il est en outre apparu que l’infection affecte l’efficacité de la réponse antitumorale de lymphocytes T (les lymphocytes T CD8+), dont laquantité et la capacité à réagir contre les cellules cancéreuses sont alors réduites. Par ailleurs, après l’infection, les cellules tumorales se mettent à surexprimer une protéine (PDL1) qui inhibe l’activité des lymphocytes supposés conduire à leur destruction.

Des modifications qui affectent le métabolisme des médicaments

Pour aller plus loin, les chercheurs ont conduit une étude « transcriptomique » : ils ont comparé l’expression du génome des cellules du microenvironnement tumoral de souris infectées par le virus influenza et de témoins non infectés. « Nous avons ainsi identifié plusieurs gènes qui sont exprimés différemment suite à l’infection. Parmi eux, certains sont impliqués dans la croissance et l’invasion tumorale. D’autres jouent un rôle dans le métabolisme des médicaments, ce qui suggère que l’infection virale pourrait réduire la réponse à certaines chimiothérapies. »

Pour valider ces observations chez l’Homme, Isabelle Cremer et son équipe ont analysé des données transcriptomiques de patients atteints de cancers du poumon, issues d’une banque publique (The Cancer Genome Atlas Consortium – TCGA). Il est ainsi apparu que les malades dont le profil était proche de celui des souris infectées par le virus de la grippe avaient un moins bon pronostic : ces patients expriment fortement des gènes associés à une immunité antitumorale moins active, une croissance tumorale plus forte et une résistance plus importante à certaines molécules de chimiothérapie. « Ce résultat n’apporte qu’une preuve indirecte du fait qu’une infection grippale peut aggraver le pronostic du cancer. La grippe est une maladie courante qui n’est pas forcément documentée. Aussi, les données que nous avons utilisées ne nous permettent pas de savoir avec certitude si ces profils d’expression génétique sont spécifiquement liés au contact avec le virus influenza, quand bien même ils sont semblables à ceux qu’on observe chez la souris après une infection », explique Isabelle Cremer.

Renforcer l’information sur la vaccination

Les prochains travaux de l’équipe devraient apporter des preuves plus directes. La chercheuse est aidée en cela par le fait que TLR7 reconnaît tous les virus dont le matériel génétique est constitué d’ARN simple brin : le virus de la grippe saisonnière, mais aussi la plupart des autres virus respiratoires et notamment le SARS-CoV‑2 responsable de la Covid-19. Or les infections provoquées par ce dernier sont quant à elles généralement bien documentées. « Nous bâtissons actuellement un projet bioinformatique avec d’autres équipes, pour corréler la survenue d’infections virales et le profil transcriptomique de patients. Nous allons travailler à partir de banques de données publiques, mais aussi à partir d’une cohorte de malades suivis à l’institut Cochin à Paris, opérés dans le service de chirurgie thoracique dirigé par Marco Alifano et diagnostiqués dans le laboratoire d’anatomo-pathologie par Diane Damotte. » En parallèle, l’équipe d’Isabelle Cremer conduit des tests avec chacune des molécules de chimiothérapie utilisées dans le cancer bronchique : « À partir d’expériences réalisées sur des cellules tumorales bronchiques en culture, nous cherchons à savoir si certains médicaments deviennent inactifs après l’infection virale. Le cas échéant, nos résultats permettront d’orienter le traitement des malades après un épisode de grippe saisonnière. »

En attendant d’en savoir plus, les données issues de ces travaux engagent à la prudence : « Il est raisonnable de ne pas négliger la vaccination contre la grippe des patients et de leurs proches, afin d’éviter l’aggravation des tumeurs et de conserver l’activité de la chimiothérapie », insiste Isabelle Cremer.


Isabelle Cremer est professeur d’immunologie à Sorbonne Université, et directrice de l’équipe Inflammation, complément et cancer au Centre de recherche des Cordeliers (unité 1138 Inserm/Sorbonne Université/Université Paris Cité), Paris. Travail réalisé avec Irati Garmendia, Aditi Varthaman et Solenne Marmier.


Source : I Garmendia et coll. Acute Influenza Infection Promotes Lung Tumor Growth by Reprogramming the Tumor Microenvironment. Cancer Immunol Res, 8 mars 2023 ; doi : 10.1158/2326–6066.CIR-22–0534

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