Biopile : l’énergie illimitée du corps

Le corps est une centrale énergétique qui transforme la nourriture que nous mangeons en énergie chimique stockée sous forme de glucose. La recherche tente d’exploiter cette ressource pour alimenter l’électronique implantée, support de la médecine de demain.

Un article à retrouver dans le magazine de l’Inserm n°58

Aujourd’hui les dispositifs médicaux, l’électronique implantée et les prothèses bioniques améliorent le quotidien de nombreux patients.Près de 6 % de la population des pays développés est concernée. L’ère de la médecine digitalisée est en pleine expansion. Les chercheurs ont su concevoir un rein artificiel, un sphincter urinaire robotisé et automatisé, un pancréas bio-artificiel pour remplacer celui des diabétiques, ou encore une version miniaturisée et implantable d’un système de dialyse. Pour Abdelkader Zebda, chercheur Inserm au laboratoire Recherche translationnelle et innovation en médecine et complexité à La Tronche près de Grenoble, nous ne sommes qu’au début des possibilités, encore faut-il avoir le support énergétique pour y parvenir. En effet, rendre un système plus sophistiqué, avec davantage de fonctions, cela demande plus d’énergie. « Si on voulait alimenter un rein artificiel, il faudrait une pile à lithium d’1 litre pour 1,2 kg, à renouveler tous les ans ! explique-t-il. Plus les implants sont gourmands en énergie, plus leurs piles sont encombrantes. Les technologies médicales implantées sont aujourd’hui restreintes par leurs sources d’énergie, qui ont une durée de vie limitée. »

Du glucose et de l’oxygène pour produire de l’électricité

Aujourd’hui, la pile à lithium qui alimente la plupart des dispositifs médicaux est implantée avec une source de carburant définie. Il faut ainsi changer la pile d’un pacemaker tous les cinq à sept ans environ. Abdelkader Zebda a voulu s’affranchir de cette limite avec une source d’énergie qui ne nécessite pas d’être renouvelée. Cela fait plus de 10 ans qu’il s’intéresse aux biopiles qui utilisent comme carburants l’oxygène et le glucose présents en continu dans l’organisme. D’abord testées in vitro, puis sur des rats en 2019, leurs électrodes ont livré des résultats encourageants. Une révolution, même pour le milieu. Les biopiles fonctionnent comme des piles classiques à combustibles : elles transforment l’énergie chimique en énergie électrique. Seulement, à l’inverse de la pile traditionnelle, le carburant de la biopile est biologique. L’appareil de quelques millimètres utilise des enzymes pour faire réagir l’oxygène et le sucre présents dans le corps afin qu’ils libèrent des électrons dont se sert la pile pour produire du courant. C’est un procédé totalement naturel fondé sur l’oxydation du glucose et la réduction de l’oxygène, sans que cela ne perturbe en rien la glycémie et la disponibilité de l’oxygène dans l’organisme, tous deux nécessaires à son fonctionnement.

Le corps humain contient environ 100 watts de puissance chimique, dont la moitié est stockée sous forme de glucose. Seuls quelques milliwatts suffisent à la biopile pour alimenter des dispositifs médicaux implantables gourmands en énergie. La puissance des biopiles va surtout dépendre de leur surface. Plus leur superficie sera étendue, plus de réactions pourront avoir lieu simultanément et plus d’électrons seront libères. Pour autant, les instruments restent d’un volume relativement petit, entre 0,01 et 0,5 mL selon les besoins en puissance. « On est capable de concevoir des matériaux poreux, avec un rapport surface/volume très important », explique le chercheur.

Une source infinie d’énergie, vraiment ?

Si les piles à lithium sont limitées par leur réservoir de carburant, le glucose et l’oxygène qui nourrissent les biopiles sont une source intarissable du vivant. Une fois ces contraintes de conditionnement levées, la promesse d’une source énergétique avec une longévité illimitée semble atteignable. Pourtant, les biopiles en l’état actuel des choses n’en demeurent pas moins circonscrites. Les catalyseurs enzymatiques, socles des réactions énergétiques, restent des protéines, qui par essence peuvent se dénaturer avec le temps. « On a travaillé sur leur stabilisation, notamment en essayant de remplacer les enzymes par des catalyseurs qui ne sont pas d’origine biologique, comme du graphène dopé au fer et à l’azote, tout aussi sélectifs envers l’oxygène, mais plus résistants », détaille Abdelkader Zebda.

Autre limite auxquelles les chercheurs se confrontent : l’acceptation de cet objet étranger par le corps. Pour les protéger contre les attaques du système immunitaire, les électrodes sont encapsulées et abritées par des membranes biocompatibles qui laissent passer l’oxygène et le glucose. Mais cela ne suffit pas toujours. Le corps a tendance à encapsuler avec un tissu cicatriciel les éléments étrangers, même bénins. Or, ainsi isolée, la biopile n’a plus accès à son carburant principal. Le glucose et l’oxygène ne peuvent plus atteindre la pile, qui cesse de fonctionner sur le long terme. « Nous travaillons énormément sur l’acceptation de la biopile par le corps dans la durée, explique le chercheur. Aujourd’hui, c’est l’un des enjeux majeurs qui limitent la durabilité et l’utilisation de la biopile. Nous avons notamment conçu des systèmes membranaires poreux avec des propriétés anti-encrassement qui marchent jusqu’à 6 mois. »

Vers une première utilisation chez des animaux

Malgré une démonstration de principe très prometteuse donc, une étape essentielle reste encore à franchir avant que les biopiles ne soient adoptées par le milieu médical : allonger la durée de vie des systèmes. « En 10 ans, nos piles à combustible sont passées d’une autonomie de trois jours à six mois en continu dans le corps d’un animal, et sans provoquer de réaction de rejet. Nous sommes sûrs que nous pouvons faire mieux », assure aujourd’hui Abdelkader Zebda. En attendant, avec le soutien de la SATT Linksium, il envisage l’application de ces systèmes au bénéfice du bien-être animal grâce à la création d’une start-up baptisée Watt-Pill. Cette dernière vise à commercialiser les premières biopiles implantables afin d’alimenter des capteurs qui contrôleraient en continu la santé des animaux d’élevage comme la vache – une étape cruciale avant le développement de ces appareils chez l’humain. « Les biopiles constituent une avancée majeure et un changement de paradigme vers une médecine de l’avenir optimisée par la technologie », affirme le chercheur.


Abdelkader Zebda est chercheur Inserm dans l’équipe Systèmes nanobiotechnologiques et biomimétiques, au sein de l’unité Recherche translationnelle et innovation en médecine et complexité (UMR 5525 CNRS/Université Grenoble Alpes), à La Tronche.


Auteur : M. R.

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