BALUMET : les basophiles, une cible clé pour comprendre et combattre le lupus

Au Centre de recherche sur l’Inflammation de Paris (unité Inserm 1149 / CNRS / Université Paris Cité, CRI), Nicolas Charles étudie les granulocytes basophiles, un type de globule blanc connu pour être impliqué dans les allergies, et plus précisément la contribution de ces cellules au développement du lupus érythémateux systémique, une maladie dite auto-immune qui pousse notre système immunitaire à se retourner contre nos propres cellules.

Mieux les comprendre faciliterait l’identification de nouvelles cibles thérapeutiques afin de concevoir des traitements à la fois plus efficaces et avec moins d’effets secondaires pour les patients.

Pour InScience, le festival de culture scientifique de l’Inserm, découvrez le portrait de ce chercheur convaincu de l’importance de la recherche translationnelle qui allie recherches fondamentale et clinique au bénéfice de notre santé.

Pouvez-vous nous présenter votre parcours ?

Nicolas Charles : J’ai débuté ma thèse en 2001 à l’Institut Pasteur, dans un laboratoire de l’Inserm où j’ai étudié les mécanismes d’activation des mastocytes, des cellules clés lors des réactions allergiques. En 2005, j’ai rejoint un laboratoire à Bethesda (États-Unis) pour mon post-doctorat, où je me suis cette fois intéressé à l’implication des basophiles et des immunoglobulines E (IgE), une classe d’anticorps responsable de la majorité des allergies, dans l’amplification du lupus érythémateux systémique (LES), une maladie auto-immune rare affectant principalement les femmes en âge de procréer. Depuis, ce sujet est resté au cœur de mes travaux de recherche.

J’ai intégré l’Inserm en 2009 en tant que chargé de recherche et ai rejoint le Centre de recherche sur l’Inflammation (CRI) à sa création en 2014. Je suis depuis devenu directeur de recherche et dirige ma propre équipe au sein du Centre. J’y étudie toujours la contribution des basophiles, des mastocytes et de certains de leurs mécanismes cellulaires dans le développement de différentes immunopathologies, dont notamment le lupus, ainsi que d’autres maladies rénales chroniques.

Vous êtes lauréat d’un financement ANR pour le projet BALUMET, dédié au lupus érythémateux systémique…

N. C. : Les patients atteints d’un lupus synthétisent des anticorps appelés « auto-anticorps anti-nucléaires », dirigés contre des composants du noyau des cellules, notamment contre l’ADN. Ils vont former des complexes circulants capables de se déposer dans des organes et d’y induire une inflammation chronique pouvant mener à une perte de fonction. Cette pathologie peut affecter la peau, les articulations, le cerveau et également le rein dans 30 à 50% des cas : on parle alors de « néphropathie lupique ». 

Dans le cadre d’un LES, on sait que les basophiles s’accumulent dans la rate et dans les ganglions lymphatiques, où ils favorisent l’amplification de la production des auto-anticorps et donc l’activité de la maladie. Cependant, les mécanismes menant à cette amplification ne sont pas encore bien compris et identifiés.

BALUMET a ainsi pour objectif d’étudier les basophiles des patients concernés, d’identifier des protéines dérégulées à leur surface afin de vérifier si ces dérégulations sont retrouvées dans des modèles animaux, puis enfin de concevoir des approches thérapeutiques chimiques ou biologiques ciblant les voies identifiées.

De plus, les traitements employés à ce jour pour contenir les poussées de la maladie ont des effets secondaires importants, notamment sur la fertilité des patientes en âge de procréer. Décrypter les mécanismes du développement du lupus favoriserait la conception d’approches thérapeutiques innovantes et spécifiques visant à améliorer la prise en charge des patientes et à limiter les effets secondaires.

Quels résultats avez-vous pour l’instant obtenus ?

N. C. : Nous avons atteint la quasi-totalité des objectifs du projet BALUMET. À partir de travaux antérieurs, j’ai d’abord pu déterminer que les niveaux d’expression par les basophiles d’un marqueur, appelé CD62L, permettait de prédire la non-réponse des patients au traitement. CD62L permettrait aux basophiles de sortir de la circulation sanguine pour aller amplifier la production des auto-anticorps responsables de la maladie dans les ganglions.

Les résultats obtenus montrent que plus les patients exprimaient CD62L à la surface de leurs basophiles, moins ils avaient de chance de répondre correctement au traitement. À terme, si ces résultats sont confirmés par d’autres études, ils pourraient faciliter et orienter la prise de décision clinique concernant le traitement du lupus.

La suite logique était de s’intéresser au phénomène d’amplification de la production des auto-anticorps antinucléaires par les basophiles dans les ganglions. Nos résultats ont permis d’identifier la surexpression d’un marqueur par les basophiles des patients lupiques nommé PD-L1. Ce dernier semble favoriser l’interaction des basophiles avec certains lymphocytes T, les TFH, qui sont connus pour promouvoir la production des auto-anticorps au cours du lupus.

Dans un modèle expérimental animal, on a décrit une maladie proche du lupus humain, avec également une surexpression du marqueur PD-L1 à la surface des basophiles et associée à une accumulation des TFH dans les ganglions lymphatiques. Nous avons montré que la destruction des basophiles sur ce modèle d’intérêt empêchait l’accumulation des TFH et réduisait donc l’activité de la maladie.

Dans d’autres expériences conduites en l’absence de basophiles ou lorsque les basophiles n’expriment pas PD-L1, les TFH ne s’accumulent plus dans les ganglions, ce qui prévient le développement de la maladie rénale et la production des auto-anticorps associés à celle-ci. Aussi, nous avons prouvé que le scénario dans les cellules humaines était similaire.

Ces travaux identifient donc les basophiles comme des cellules clés dans le lupus qui, sans être à l’origine de la maladie, participent à son amplification, ce qui mène aux atteintes d’organes.

Comprendre le rôle des basophiles et les mécanismes cellulaires impliqués dans le lupus vous permet-il de développer des approches thérapeutiques innovantes ?

N. C. : Oui tout à fait ! Nous travaillons en ce moment à la validation préclinique de cibles thérapeutiques préalablement identifiées et étudions l’efficacité de certains médicaments agissant au niveau des basophiles ou des IgE à rompre la boucle d’amplification de production des auto-anticorps responsables de la maladie.

Les approches thérapeutiques développées sont principalement issues de démarches utilisées dans le cas de maladies allergiques où les IgE et/ou les basophiles ont un rôle central. Ces avancées dans le lupus pourraient donc être également utiles dans d’autres immunopathologies. Nous avons par exemple pu le démontrer pour une maladie appelée connectivite mixte ou syndrome de Sharp dans laquelle les patients bénéficieront également des approches conçues dans le cadre du lupus. Nous analysons actuellement l’éventuelle contribution des basophiles et des IgE dans d’autres pathologies auto-immunes afin de pouvoir étendre ces solutions à un maximum de patients.

Vos travaux se situent à l’interface entre la recherche fondamentale et l’application clinique. Selon vous, est-il important que vos résultats apportent des solutions concrètes aux patients ?

N. C. : C’est un des aspects de mon métier qui me passionne : comprendre pour trouver des solutions ! La recherche biomédicale consiste à comprendre des mécanismes fondamentaux, comment fonctionne une cellule ou un organisme quand tout va bien. Produire de la connaissance en ce sens nous permet ensuite de mieux comprendre ce qui dysfonctionne dans le cas de certaines maladies. La recherche va consister à identifier les moyens et les modèles qui permettront d’apporter la connaissance et les solutions afin d’améliorer la prise en charge des patients.

Un autre élément passionnant est l’interaction entre les cliniciens et les scientifiques, car nous n’avons pas la même approche de la maladie. L’interface entre la recherche et la clinique est, à mon sens, ce qu’il y a de plus productif dans la recherche biomédicale. La compréhension par les chercheurs des besoins du corps médical pour améliorer la prise en charge des patients dans une pathologie donnée est essentielle : elle permet de développer à la fois une meilleure connaissance de la progression de cette maladie, mais aussi des outils pour la combattre de manière utile et efficace. C’est une chance de pouvoir échanger entre ces deux mondes et de s’apporter mutuellement des connaissances complémentaires ! Je pense que cela participe à créer des projets avec un impact réel, tant sur le savoir scientifique que sur la qualité des soins apportés aux patients.