AVC : Récupérer par la pensée

Grâce à une technique d’entraînement qui utilise l’activité cérébrale des patients, des chercheurs aident les victimes d’un accident vasculaire cérébral à retrouver plus vite la motricité d’un bras ou d’une jambe. Avec eux, plongée dans le monde innovant du « neurofeedback ».

Un article à retrouver dans le n°45 du magazine de l’Inserm

Tous les ans, en France, quelque 140 000 personnes sont victimes d’un accident vasculaire cérébral (AVC), une obstruction ou une rupture d’un vaisseau sanguin dans le cerveau. 31 000 en décèderont. Pour les rescapés, les séquelles peuvent être importantes : hémiplégie, hémiparésie (paralysie complète ou incomplète d’un seul côté), troubles cognitifs, troubles de l’équilibre… Les AVC sont la première cause de handicap chez l’adulte. L’enjeu de la récupération de la motricité ? Restaurer la circulation des informations entre le cerveau et les membres. Longtemps, la rééducation a consisté à favoriser la récupération motrice en mobilisant les membres et en faisant manipuler différents objets, avec un succès limité. « La récupération de la motricité du membre supérieur est plus difficile à obtenir pour la majorité des patients car la lésion touche complètement la zone de commande du membre, laquelle est très large du fait de la complexité de son fonctionnement, explique Isabelle Bonan, chercheuse Inserm de l’unité de recherche Empenn* [« Cerveau » en breton, ndlr.] et cheffe du service Médecine physique et réadaptation au centre hospitalier universitaire Pontchaillou, à Rennes. Par ailleurs, le niveau de récupération doit être excellent pour que le patient puisse utiliser son membre supérieur alors qu’une récupération modérée du membre inférieur autorise quand même la marche. »

L’imagerie mentale

Depuis les années 2000, une révolution technologique est apparue – ouvrant de nouvelles perspectives pour la rééducation : l’imagerie par résonance magnétique (IRM). Elle permet d’observer l’intérieur du cerveau en deux ou trois dimensions et de révéler des informations jusque-là invisibles avec des techniques d’imagerie traditionnelles. En d’autres termes : les médecins ont désormais accès à ce qui se passe dans le cerveau des patients en temps réel lors d’une tâche. « Dans le cas des patients victimes d’AVC, on a pu voir comment cela se matérialise dans le cerveau, par exemple lorsque le sujet bouge sa main ou pense au mouvement de sa main, certaines zones ne s’allument plus », raconte Isabelle Bonan. Mieux, grâce à l’IRM, les spécialistes peuvent suivre comment se traduisent les progrès faits au cours de la rééducation : certaines zones cérébrales, jusque-là éteintes, commencent de nouveau à s’activer au fur et à mesure des séances d’exercices qui visent à restaurer la motricité du ou des membres paralysés. « C’est la plasticité cérébrale qui permet cela, en mobilisant des zones saines capables de suppléer les zones lésées ou en créant de nouveaux réseaux neuronaux en remplacement de ceux qui ont été endommagés, et ce afin de restaurer une fonction perdue », commente la spécialiste. 

Encore plus étonnant, les scientifiques ont découvert que la plasticité cérébrale intervient à force d’entraînements bien réels, mais aussi lorsque les mouvements sont simplement… pensés ! Les skieurs professionnels ou les musiciens, qui répètent leur parcours ou leurs morceaux « dans le vide », soit sans ski ou sans instrument, l’ont compris depuis longtemps : imaginer les mouvements permet de mieux les intégrer et d’améliorer leur réalisation future. Cette technique d’imagerie mentale peut ainsi être potentialisée par le « neurofeedback », qui permet de montrer au sujet ce qu’il se passe dans son cerveau en temps réel. Il peut ainsi progressivement apprendre à stimuler les zones du cerveau les plus favorables à sa récupération. 

Pour visualiser l’activité des neurones dans le cerveau, deux techniques sont couplées : l’électroencéphalographie (EEG), qui mesure cette activité avec une très bonne précision temporelle grâce à des électrodes placées sur le cuir chevelu, et l’IRM, caractérisée par une bonne précision spatiale. Des logiciels d’analyse de ces informations peuvent ensuite aider à identifier lesquelles de ces activités sont en lien avec les symptômes concernés, ici le déficit de motricité d’un ou plusieurs membres. « Nous avons mis au point un protocole d’entraînement intensif comprenant des séances bimodales (IRM et EEG) et des séances unimodales EEG sur cinq semaines, décrit Isabelle Bonan. Nos premiers résultats sont encourageants. Lorsque les zones clés pour la rééducation s’allument dans le cerveau et que les activités électriques des neurones reprennent, une « récompense » est donnée au cerveau grâce à une image de jauge présentée en temps réel. Le cerveau comprend alors qu’il est sur le bon chemin et continue l’exercice de la même façon. Si par contre la jauge diminue, c’est que le patient s’éloigne de l’objectif, et il doit corriger le tir. »

À chacun son neurofeedback

Avec ses collègues, la scientifique a récemment étudié les impacts de ce neurofeedback sur quatre patients présentant une paralysie partielle suite à un AVC. Leur activité cérébrale était suivie soit par EEG et IRM, soit par EEG seulement. Objectif ? Identifier les zones cérébrales dont l’activation par la pensée permettait une meilleure récupération de la motricité des membres affectés. Des études précédentes avaient en effet montré que, suivant la sévérité des lésions des patients, il était préférable de se focaliser sur telle ou telle zone cérébrale. Par exemple le cortex prémoteur, situé dans le lobe frontal du cerveau et dédié à la planification et à l’organisation du mouvement, ou bien le cortex pariétal, qui joue un rôle important dans l’intégration des différentes informations sensorielles, seraient plus indiqués pour les patients sévèrement atteints, tandis que le cortex moteur primaire, disposé dans la partie postérieure du lobe frontal et qui participe à l’exécution des mouvements, serait intéressant pour les patients avec un meilleur potentiel de rééducation. « Les résultats nous ont montré le potentiel d’une approche multi-cibles, qui vise différentes aires cérébrales au fur et à mesure des exercices pour améliorer les résultats chez les patients victimes d’un AVC », se réjouit Isabelle Bonan, qui parle d’une première mondiale. Objectifs à suivre : mettre en place une étude randomisée pour tester la faisabilité et surtout comparer ces résultats à ceux d’une rééducation habituelle, ce qui permettra alors de confirmer la supériorité de cette technique et de mieux définir quels patients peuvent s’attendre à des résultats positifs. 

Note :
*unité 1228 Inserm/Inria, Vision, action et gestion des informations en santé (Visages), Nantes