Allergies : une piste de traitement à ARN

Certaines allergies – respiratoires, alimentaires ou médicamenteuses – sont provoquées par la libération dans la circulation sanguine d’anticorps spécifiques, les immunoglobuline E (IgE). À Limoges, une équipe de chercheurs est parvenue à bloquer ce phénomène dans des modèles d’étude cellulaires et animaux, grâce à un fragment d’ARN synthétique. Ces résultats prometteurs laissent ainsi entrevoir la possibilité d’un nouveau traitement des allergies et d’autres maladies dépendantes de la sécrétion d’immunoglobulines.

Utiliser de petits ARN pour traiter l’allergie : c’est ce qu’envisage très sérieusement l’équipe de Laurent Delpy*, au Centre de biologie et de recherche en santé à Limoges. Spécialisés dans l’étude des gènes d’immunoglobulines (Ig), ces scientifiques viennent en effet de tester l’approche dans des modèles d’étude préclinique, avec succès !

Pour bien comprendre ces travaux, il faut revenir sur le processus allergique lui-même. Dans un certain nombre d’allergies, la réaction qui pose problème est dite « IgE-dépendante » : cela signifie que les symptômes allergiques sont déclenchés par la sécrétion d’immunoglobuline E (IgE). Concrètement, lorsqu’un allergène auquel le système immunitaire est sensible pénètre dans l’organisme, une population de cellules appelées plasmocytes va libérer des IgE spécifiques de l’allergène, sous une forme soluble. Une fois dans la circulation, ces immunoglobulines vont se fixer sur la membrane d’un second type de cellules immunitaires, les mastocytes, et déclencher leur « dégranulation », c’est-à-dire la libération de diverses molécules qui provoquent les signes aigus de l’allergie : rhinite, asthme, démangeaisons…

Depuis plusieurs années, l’équipe de Laurent Delpy étudie les mécanismes qui contrôlent la production d’immunoglobulines solubles. « Les IgE peuvent être membranaires ou solubles, explique-t-il. Dans le premier cas, elles restent attachées à la surface des cellules qui les produisent, alors que dans le second elles sont libérées dans la circulation. La différence entre ces deux formes tient à une modification de leurs ARN messagers qui survient lorsque les plasmocytes sont matures et qui consiste en l’ajout d’une séquence nucléotidique particulière (un « site de polyadénylation »). C’est cet ajout qui permet la synthèse IgE sous une forme soluble, sécrétée. Aussi, masquer le nouveau site de polyadénylation à la machinerie cellulaire chargée de traduire les ARN messagers en protéines devrait conduire à l’inhibition de la synthèse d’IgE solubles, au profit de celle d’IgE membranaires. » Théoriquement, cette approche pourrait donc contribuer à la lutte contre la réaction allergique.

Schéma décrivant comment sont produits les IgE membranaires à partir des lymphocytes B et les IgE solubles à partir des plasmocytes, puis comment l'utilisation d'oligonucléotides antisens permet d'inhiber la synthèse d'IgE solubles par les plasmocytes.
IgE solubles ou membranaires ? Les lymphocytes B, précurseurs des plasmocytes, produisent des IgE membranaires. Dans les plasmocytes matures, les ARN messagers qui codent pour les IgE sont modifiés pour conduire à la synthèse d’immunoglobulines solubles, libérées hors des cellules. L’approche développée par l’équipe de Laurent Delpy consiste à utiliser un petit oligonucléotide synthétique pour masquer cette modification de l’ARN messager et inhiber la synthèse d’IgE solubles. ©Inserm

Convertir les IgE solubles en IgE membranaires

Pour vérifier leur hypothèse, les chercheurs ont développé un oligonucléotide antisens, c’est-à-dire un petit ARN synthétique capable de se fixer spécifiquement sur le site de polyadénylation de l’ARN messager d’IgE, conduisant à son masquage. Ils ont testé son effet sur des cellules humaines en culture et chez des souris qui produisent des IgE humanisées. Dans les deux cas, une chute de la production d’IgE solubles par les plasmocytes a été observée dans les heures suivant l’exposition à l’oligonucléotide antisens. En outre, le fait d’augmenter la production d’IgE membranaires a entraîné la mort des plasmocytes concernés, par apoptose. « Chez l’animal, une seule injection intraveineuse a permis d’obtenir un effet, ce qui suggère un ciblage très efficace des plasmocytes présents dans la moelle osseuse et la rate. Nous devons cela au couplage de l’oligonucléotide à un peptide (fragment de protéine) riche en arginine, capable de traverser efficacement les membranes cellulaires », explique Laurent Delpy.

Forts de ces premiers résultats, les chercheurs doivent encore confirmer la sécurité d’emploi de leur oligonucléotide thérapeutique et l’efficacité de leur approche, de manière à consolider le brevet qu’ils ont déposé. Néanmoins, un accord a déjà été signé avec Inserm Transfert pour pousser le développement de la petite molécule, non seulement pour le traitement des allergies, mais aussi dans d’autres maladies liées à la production d’Ig solubles : IgG dans les maladies auto-immunes ou IgA dans la maladie de Berger, une maladie des reins. « Concernant les allergies, l’approche pourrait servir en prévention des crises ou pour leur traitement. Produire un ARN synthétique est facile et peu coûteux, ouvrant de belles perspectives thérapeutiques », entrevoit Laurent Delpy.

Note :
*unité 1262 Inserm/CNRS/Université de Limoges, Contrôle de la réponse immune B et lymphoprolifération, équipe Régulation post-transcriptionnelle de l’expression des immunoglobulines, Limoges

Source : A Marchalot et coll. Targeting IgE polyadenylation signal with antisense oligonucleotides decreases IgE secretion and plasma cell viability. J Allergy Clin Immunol, édition en ligne du 2 novembre 2021. DOI : 10.1016/j.jaci.2021.09.039

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