Transplantation d’organes / Greffe

Le dernier recours en cas de défaillance d'un organe vital

La transplantation, dernier recours en cas de défaillance d’un organe vital, reste une opération lourde et une course contre la montre. Le contrôle de la réaction immunitaire du receveur contre le greffon a fait de sérieux progrès, tant et si bien qu’à court terme, le risque de rejet est aujourd’hui maîtrisé. Mais les mécanismes pouvant mener à un rejet à long terme, ainsi que les moyens de le prévenir, restent moins connus. Néanmoins, la recherche avance et ouvre de nouvelles perspectives.

Dossier réalisé en collaboration avec Pierre Marquet (unité 850 Inserm/université de Limoges/CHU de Limoges, Pharmacologie des immunosuppresseurs et de la transplantation) et avec la participation de Sophie Brouard et Régis Josien (unité 1064 Inserm/Université de Nantes ‚Centre de recherche en transplantation & immunologie, ITUN)

Comprendre la transplantation d’organes

Depuis les premières greffes rénales durables, réussies dans les années 1950, la transplantation d’organes a connu des avancées majeures en chirurgie et médecine. La découverte des groupes tissulaires et l’utilisation de médicaments immunosuppresseurs, en particulier, permettent aujourd’hui des survies à long terme. La greffe est désormais un recours « usuel » en cas de défaillance grave d’un organe vital, dont le non remplacement condamnerait le patient. 

En France, l’Agence de la biomédecine coordonne cette activité : elle détient les listes d’attentes, reçoit les offres de greffons et les attribue aux receveurs. Vieillissement de la population oblige, on prélève et greffe des patients de plus en plus âgés : 57,7 ans en moyenne pour les donneurs et 51,5 ans pour les receveurs en 2014. 


Les « groupes tissulaires », ou le complexe majeur d’histocompatibilité

En 1958, le professeur Jean Dausset découvrait le complexe majeur d’histocompatibilité (CMH), aussi appelé « système HLA » (pour Human Leucocyte Antigens) chez l’homme. Cet ensemble de molécules présentes à la surface des cellules permet la reconnaissance du « soi » par le système immunitaire.

Le CMH étant différent d’un individu à l’autre, celui du donneur est en général considéré comme étranger par le système immunitaire du receveur, déclenchant chez ce dernier une réaction de défense. A la manière des groupes sanguins pour la transfusion, il faut donc s’assurer de la proximité maximale des CMH entre donneur et receveur avant une transplantation. Toutefois, étant donné la complexité et la variabilité du CMH, la correspondance n’est jamais parfaite, sauf entre vrais jumeaux. 


Rein, cœur, foie... que greffe-t-on ?

La transplantation rénale reste de loin la plus fréquente : environ 3 000 chaque année en France (3 232 en 2014). Qu’elle soit due au diabète ou à d’autres maladies, l’insuffisance rénale condamne les patients à subir régulièrement des séances de dialyse. La transplantation améliore leur survie et restaure une vie normale. Malgré sa lourdeur initiale, elle coûte finalement moins à la collectivité qu’une obligation de dialyse à vie. Une personne en bonne santé pouvant vivre avec un seul rein, il arrive que des proches des malades en donnent un. En 2014, plus de 500 reins de donneurs vivants ont ainsi été greffés en France. 

Dans plus de la moitié des cas, la décision de greffer un foie fait suite à une cirrhose, qu’elle soit alcoolique ou due à des maladies comme les hépatites C et B ou des pathologies des voies biliaires. L’autre grande indication, le carcinome hépatocellulaire (cancer du foie) non métastasé gagne aujourd’hui en fréquence. Le nombre de transplantations (1 280 en 2014) reste stable malgré l’apparition de traitements contre les hépatites virales. Il arrive, très rarement, qu’un donneur vivant cède un lobe de son foie, souvent à un enfant. 

L’insuffisance cardiaque peut dériver d’un infarctus du myocarde, d’une hypertension artérielle sévère non traitée, d’anomalies des valves ou de la consommation de toxiques (médicaments, alcool...). Plus rarement, des maladies congénitales ou héréditaires sont en cause. Malgré l’apparition de systèmes de circulation artificielle, extérieurs ou implantés, la transplantation cardiaque n’a pas diminué, avec 423 opérations en 2014. On greffe en effet des patients plus âgés et dans des états plus graves qu’auparavant. 

Procédure plus récente, la greffe des poumons se développe actuellement (327 en 2014). Elle est proposée en cas de mucoviscidose, de fibrose pulmonaire ou de maladies obstructives des voies aériennes, souvent dues au tabagisme. Des affections beaucoup plus rares, comme l’hypertension artérielle pulmonaire, peuvent nécessiter la transplantation du bloc cœur-poumons. 

Outre ces « classiques », des transplantations d’autres organes sont apparues ces dernières années. Certaines formes graves de diabète conduisent à une greffe de pancréas. Extrêmement rare, la greffe d’intestin est décidée en dernier recours, lorsque l’alimentation par voie intraveineuse a échoué. Enfin, l’implantation provisoire d’utérus, afin de mener à bien une grossesse, a fait son apparition en 2012 en Suède. Le CHU de Limoges a reçu en novembre 2015 l’autorisation de démarrer un tel programme, avec des utérus de donneuses défuntes 

Besoins et greffons disponibles : un écart croissant

Les organes greffés proviennent presque toujours de sujets en état de mort cérébrale , dont la circulation et la respiration sont maintenues artificiellement par des procédures de réanimation. Seule la moitié des donneurs potentiels recensés est prélevée. Dans un tiers des cas, c’est la famille du défunt qui s’oppose au prélèvement. Le reste des renoncements est dû à des antécédents pathologiques (tumeurs, maladies infectieuses ou autres) du donneur ou à des obstacles médicaux. Ces problèmes deviennent plus fréquents avec le vieillissement des donneurs.


Consentement : la loi et les familles

Instaurée en 1976 par la loi Caillavet, la règle du consentement présumé a été réaffirmée par la loi de bioéthique de 1994, réactualisée en 2004 et 2011. L’Agence de la biomédecine tient d’ailleurs un registre national où peuvent s’inscrire les personnes s’opposant au prélèvement de leurs organes après leur mort. En pratique, les médecins s’adressent toutefois aux proches, à qui ils doivent demander l’autorisation de prélever au pire moment, immédiatement après l’annonce du décès. 


Ainsi, en 2014, 1 655 sujets en état de mort cérébrale ont été prélevés, auxquels il faut ajouter 530 donneurs vivants et 40 en arrêt cardiaque. Avec une moyenne de trois organes prélevés sur chaque donneur décédé, il a été possible de réaliser 5 357 greffes au total. Or, dans le même temps, plus de 20 000 personnes étaient inscrites sur les listes d’attente ! Et cet écart ne fait que croître, en raison de l’élargissement des indications de greffe qui conduit à l’augmentation du nombre de patients en attente d’un organe.


Des donneurs nouveaux

Les donneurs sont soumis à des batteries de tests afin d’éviter la transmission de maladies infectieuses par le greffon. Cependant, l’immense majorité de la population a rencontré le cytomégalovirus (CMV), responsable d’infections pulmonaires généralement silencieuses. La séropositivité au CMV ne constitue donc pas un obstacle à la transplantation.
De plus, un décret du 23 décembre 2010 autorise le prélèvement de donneurs ayant été en contact avec les virus de l’hépatite B ou C (dérogation soumise à évaluation), pour des receveurs informés. 

Enfin, depuis 2006, le prélèvement a repris en France sur des donneurs « à cœur arrêté », à condition qu’une circulation artificielle soit rapidement établie et en respectant des critères très stricts arrêtés en 1995 lors d’une Conférence internationale à Maastricht.


Rejet aigu – rejet chronique

Après une greffe, le système immunitaire du receveur tend inévitablement à détruire le greffon, élément étranger à l’organisme. Et ce, avec d’autant plus de force que les groupes tissulaires du donneur et du receveur sont éloignés. Ce rejet constitue un problème majeur impliquant un traitement immunosuppresseur à vie. Devenus très efficaces, ces traitements présentent toutefois de sérieux inconvénients : sensibilité des patients aux infections opportunistes, fréquence accrue des tumeurs d’origine virale et toxicité des molécules utilisées. 

Le rejet « hyperaigu », qui survient dans les minutes suivant la greffe, est aujourd’hui évité par l’examen préalable de la compatibilité tissulaire du donneur et du receveur. 

 CD8 et cellules tueuses
Les CD8 et les cellules tueuses © Inserm, S. Celli, P. Bousso 

Durant les premières semaines ou premiers mois après l’opération, le greffon peut subir un rejet aigu de deux natures. L’immunité cellulaire met en scène certains lymphocytes T, des cellules « tueuses » qui s’infiltrent dans le greffon et finissent par le détruire. Aujourd’hui maîtrisée par les immunosuppresseurs, elle laisse la voie libre à l’immunité humorale, due aux anticorps. Ces derniers reconnaissent les cellules du greffon et s’y fixent, déclenchant une cascade de réactions menant à leur destruction. Longtemps sous-estimée, difficile à inhiber, l’immunité humorale représente aujourd’hui la principale difficulté dans la prévention du rejet de greffe. Malgré tout, grâce à l’association de plusieurs médicaments, la survie des greffons à un an est aujourd’hui très élevée – de l’ordre de 90%, avec des différences selon les organes. 

Il n’en va pas de même pour le rejet chronique, devant lequel les médecins restent désarmés. Sur une durée de plusieurs années, les greffons subissent des lésions et perdent progressivement leur fonctionnalité. Les mécanismes en cause, combinant réponse immunitaire (surtout humorale), toxicité des médicaments et d’autres phénomènes biologiques ou infectieux, font encore l’objet de recherches. L’équilibre entre une immunosuppression efficace à long terme et la limitation de la toxicité reste difficile à établir. Il suppose une stratégie adaptée en permanence à chaque patient. 


La toxicité des immunosuppresseurs

Les traitements immunosuppresseurs, associant deux ou trois molécules puissantes, en général un corticoïde, de l’acide mycophénolique et un inhibiteur de la calcineurine (comme le tacrolimus), provoquent de sévères effets secondaires. Atteintes osseuses, risques de diabète ou d’obésité, diminution des leucocytes, hypertension font partie des inconvénients rapportés. Le problème essentiel reste cependant leur toxicité, menant à une insuffisance rénale aiguë ou chronique, quasiment inévitable.


Espionnage cellulaire : le rejet de greffe filmé en 3D – Communiqué de presse vidéo – 2 min 33 – vidéo extraite de la série Histoires de recherche (2011)

Des risques à ne pas négliger

Dénués de spécificité, les traitements immunosuppresseurs inhibent totalement la réponse immunitaire des patients, les rendant vulnérables aux agents infectieux, y compris à des virus sans conséquence pour des personnes immunocompétentes. Malgré la panoplie disponible d’antibiotiques ou d’antiviraux, le traitement des infections sous immunosuppression reste délicat. Il fait encore l’objet de recherche, par exemple dans une unité Inserm à Limoges, pour connaître les facteurs d’échec et mieux utiliser les médicaments existants. 

Outre le cytomégalovirus, contrôlable par les antiviraux, les greffons peuvent porter des virus de type herpès ou papillome. Par exemple, le virus Epstein Barr (EBV) étant présent chez 90% de la population, sa détection ne peut pas constituer un motif de rejet du greffon. Or ces virus peuvent déclencher des cancers en quelques années : lymphomes pour l’EBV, sarcome de Karposi pour l’herpès 8, ou encore cancers génitaux et cutanés pour le papillomavirus humain. Les receveurs sont donc systématiquement surveillés. 


Améliorer l’état du greffon

Privé de sang – donc d’oxygène – durant quelques heures, placé au froid, l’organe prélevé se dégrade avant la transplantation. Les recherches se poursuivent pour améliorer les liquides de conservation, développer des machines de perfusion, voire « reconditionner » le greffon. Cette dernière approche, dont l’intérêt a déjà été démontré pour le poumon, consiste à re-perfuser et ré-oxygéner le greffon au laboratoire avant de le transplanter. A Poitiers, une unité Inserm travaille sur tous ces aspects. 

Inovagraft – Interview – 1 min 34 – vidéo extraite de la série Science Machina (2016)

Les enjeux de la recherche

Vers une immunosuppression « à la carte » ?

Chaque individu ayant une réponse immunitaire propre, il convient d’adapter l’immunosuppression au patient et de la moduler en permanence. Pour cela, il faut connaître à tout moment le statut immunitaire du patient, son risque de rejet et, dans l’idéal, l’état du greffon. 

Les chercheurs se consacrent donc à la caractérisation et la hiérarchisation des facteurs de risque de rejet, et souhaitent identifier des biomarqueurs de la réponse immunitaire et de l’état du greffon. À Nantes, une équipe de l’unité Inserm 1064 veut comprendre pourquoi certains individus se montrent naturellement plus tolérants que d’autres. Elle recherche des marqueurs sanguins associés à cette capacité à se passer d’immunosuppression. Une autre équipe, à Limoges, coordonne pour sa part le projet Biomargin qui vise à repérer, dans le sang ou les urines, des biomarqueurs (dans l’idéal pronostiques) des lésions du greffon rénal. Les deux équipes s’apprêtent à passer au stade de la recherche clinique. 

De l’immunosuppression à l’immunotolérance

Une stratégie alternative à l’immunosuppression consiste à « apprendre » au système immunitaire du receveur à considérer le greffon comme faisant partie du « soi », tout en préservant la défense de l’organisme. Cette tolérance induite fait depuis quelques années l’objet de recherches actives, à l’Inserm comme ailleurs. Trois voies se présentent. 

La première consiste à détruire – par irradiation ou chimiquement – la moelle osseuse du receveur, c’est-à-dire le tissu qui engendre les lymphocytes, et à la remplacer par celle du donneur. Dès lors, le greffon sera reconnu comme du « soi ». Le donneur devant être vivant, la méthode s’applique à la transplantation rénale. Deux essais cliniques menés aux Etats-Unis (à Stanford et Boston), initialement avec un certain succès, sont actuellement interrompus. 

Une deuxième voie consiste à « éduquer » des cellules immunitaires du receveur à accepter le greffon, avant de les lui réinjecter. Un essai clinique est en cours aux Etats-Unis (Chicago). Une équipe du CHU de Nantes (unité Inserm 1064) participe à l’étude européenne The One Study qui utilise des cellules dendritiques cultivées de manière à les rendre inhibitrices de la réaction immunitaire. Un essai clinique a démarré sur trois patients. 

Enfin, certaines équipes testent des médicaments. C’est le cas d’une équipe de l’Institut Mondor de recherche biomédicale (unité Inserm 955), qui évalue l’efficacité de la combinaison d’un inhibiteur des lymphocytes T (la rapamycine) et d’une molécule activant des cellules régulatrices de la réponse immunitaire (l’interleukine 2). Deux autres équipes Inserm (à Nantes et à Paris) étudient, au stade pré-clinique, une stratégie combinant les cellules dendritiques de The One Study avec un anticorps monoclonal dirigé contre les lymphocytes T du receveur. 

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