Hémochromatose génétique

Le fer, un ami qui peut vous nuire

Maladie génétique la plus fréquente en Occident, l’hémochromatose reste pourtant mal connue. En cause : des symptômes peu spécifiques et très variables d’un patient à l’autre, souvent responsables d’un retard diagnostique. C’est bien dommage car de simples saignées suffisent à enrayer l’accumulation délétère de fer dans l’organisme, provoquée par la pathologie. Côté recherche, les scientifiques s’attèlent notamment à mieux comprendre pourquoi certaines personnes porteuses des mutations causales de la maladie développeront de nombreux symptômes et d’autres aucun.

Dossier réalisé en collaboration avec Olivier Loréal, directeur de l’unité Nutrition métabolismes et cancer (unité 1317 Inserm/1341 Inrae/Université de Rennes), à Rennes.

Comprendre l’hémochromatose

Le fer est un métal essentiel pour l’organisme, mais sa concentration doit être très contrôlée pour éviter un excès qui peut être toxique. L’hémochromatose génétique est justement caractérisée par un excès de fer dans l’organisme. La maladie est liée à un dysfonctionnement des mécanismes qui permettent habituellement de réguler son absorption au niveau intestinal et de contrôler sa réutilisation dans l’organisme, notamment lors du recyclage du fer contenu dans les globules rouges. Avec le temps, l’hémochromatose peut entraîner des dépôts de fer dans différents tissus de l’organisme, qui détruisent peu à peu les organes.


Mais au fait, le fer... à quoi ça sert ?

Grâce à Popeye (et même si les épinards ne sont finalement pas si riches en fer que ça), nous le savons tous : le fer est important pour notre organisme ! Mais concrètement à quoi nous sert-il ? Son rôle principal se joue dans la moelle osseuse. Il y est utilisé comme principal ingrédient pour fabriquer l’hémoglobine, cette précieuse molécule qui permet à nos globules rouges de transporter l’oxygène à tous les organes. En fin de vie, les globules rouges sont détruits dans la rate : leur fer (70 % de la quantité présente de l’organisme) est alors récupéré par des cellules davantage connues pour leur rôle dans l’immunité, les macrophages, pour maintenir notre stock à 3 à 4 grammes. Le fer est aussi impliqué dans une foule d’autres fonctions physiologiques : respiration cellulaire, métabolisme des lipides, synthèse de protéines, de neurotransmetteurs... 


Quand la mécanique s’emballe

En situation normale, si chaque jour, nous ingurgitons environ 10 à 20 mg de fer, seuls 1 à 2 mg sont absorbés au niveau de notre intestin pour compenser les pertes normales de l’organisme. Le reste est directement éliminé dans les selles. Par ailleurs, les macrophages remettent à disposition de l’organisme environ 20 mg de fer par jour, par recyclage de celui contenu dans les globules rouges en fin de vie. Cette absorption intestinale limitée et la quantité de fer libérée par les macrophages sont strictement contrôlées par une protéine synthétisée par le foie, l’hepcidine. Cette dernière limite l’activité de la protéine qui exporte le fer depuis l’intestin et les macrophages vers le plasma sanguin. Une fois dans le sang, le fer est véhiculé dans l’organisme par une autre protéine, la transferrine. Parvenu aux cellules qui en ont besoin, le fer est associé aux protéines qui nécessitent sa présence pour être fonctionnelle (hémoglobine dans les globules rouges, myoglobine dans le muscle et de nombreuses enzymes dans l’ensemble des cellules de l’organisme). L’excédent est stocké pour plus tard par une troisième protéine, la ferritine, au sein de laquelle il n’est pas toxique pour l’organisme. Si la saturation en fer de la transferrine est trop élevée, du fer non lié apparait dans le plasma : il est capté préférentiellement par certains organes (foie, pancréas, cœur…) au sein de la ferritine, dont on peut retrouver la trace dans le plasma. Chez les personnes en bonne santé, le stock global de fer dans l’organisme est de 3 à 4 grammes.

Chez les malades qui souffrent de la forme la plus fréquente d’hémochromatose héréditaire (forme HFE de type 1), cette belle mécanique se dérègle. En cause, une mutation sur le gène HFE indispensable au contrôle de la synthèse de l’hepcidine. Résultat : privé de cette protéine régulatrice secrétée dans le sang par le foie pour adapter les trafics du fer dans l’organisme, la saturation de la transferrine par le fer augmente jusqu’à 80 % voire 100 % de sa capacité (contre 30 à 45 % en temps normal). Le fer non lié à la transferrine apparaît dans le plasma et est capté par certains organes (foie, pancréas, cœur…) au sein de la ferritine. Mais du fer résiduel « libre », chimiquement toxique car non inclus dans la ferritine, peut apparaître dans les cellules. Il favorise un stress oxydant dans les organes surchargés et peut entraîner des lésions sévères. En cas d’hémochromatose, le stock en fer peut atteindre des niveaux très élevés, allant jusqu’à 20 ou 30 grammes.

ProtéineRôleEn cas d’hémochromatose génétique HFE de type 1
TransferrineVéhicule le fer, issu de l’absorption digestive ou du recyclage par les macrophages, vers les tissus de l’organisme qui vont l’utiliser.L’excès de fer absorbé et recyclé conduit à la saturation de ce système de transport : du fer « libre », potentiellement toxique, et facilement capté par les organes cibles du fer, circule alors dans le sang.
FerritineStocke le fer au niveau des cellules et des organes.Le fer en excès forme des dépôts dans l’organisme, altérant le fonctionnement des organes touchés.
HepcidineRégule l’absorption du fer en fonction des besoins de l’organisme, évalués à partir du niveau de saturation de la transferrine et des réserves en fer hépatique.Elle n’est pas produite en quantité suffisante pour jouer son rôle : trop de fer est absorbé par l’organisme et libéré par les macrophages, favorisant l’apparition de fer « libre » dans le plasma.
Protéine HFERégule la production d’hepcidine par des cellules du foie lorsque la concentration de fer dans l’organisme est élevée.La protéine HFE est mutée, elle ne joue plus son rôle de régulateur dans la production d’hepcidine.
Les principales protéines impliquées dans métabolisme du fer et dans l’hémochromatose génétique

Un risque de complications invalidantes

La maladie évolue lentement. Le fer s’accumule progressivement et en silence dans l’organisme, jusqu’à constituer une véritable surcharge.

Les premières manifestations de la maladie apparaissent le plus souvent autour de 40 ans chez l’homme et 50 ans chez la femme. Les patients peuvent alors présenter une fatigue chronique et des douleurs articulaires dans les doigts et les poignets (c’est la poignée de main douloureuse) mais aussi dans les hanches, les genoux…. D’autres signes sont visibles à l’œil nu : la peau peut s’assombrir et les cheveux devenir plus fins. 

Si le traitement n’est pas débuté, des complications autrement plus invalidantes peuvent survenir chez certains patients. Les atteintes causées au foie peuvent évoluer vers une cirrhose, connue pour augmenter le risque de cancer de cet organe. Il existe aussi un risque d’insuffisance cardiaque et de bouleversements hormonaux. Lorsque le pancréas est touché et ne parvient plus à produire l’insuline, un diabète apparaît. Il existe aussi un risque d’impuissance et de ménopause précoce.

Méconnue, mais pas rare

L’hémochromatose est loin d’être une maladie rare. C’est la maladie génétique pour laquelle on compte le plus grand nombre de personnes prédisposés dans les populations d’origine caucasienne : la principale anomalie génétique qui prédispose à son apparition (une mutation des deux copies du gène HFE) est y retrouvée chez environ une personne sur 300. Cependant, tout le monde n’est pas logé à la même enseigne face à cette prédisposition génétique : seulement 50 % des hommes prédisposés et un pourcentage réduit de femmes qui présentent la double mutation vont développer une surcharge en fer. D’autres facteurs, encore mal compris, participent au développement de la maladie.

Du diagnostic au dépistage

L’idéal est bien sûr de déceler la maladie avant la survenue de ses manifestations sévères généralement vers 40–50 ans. Malheureusement, on estime que de nombreux diagnostics sont encore tardifs. En cause : des symptômes communs avec de nombreuses autres pathologies, et très variables d’un malade à l’autre. Cependant le diagnostic de la pathologie peut-être facilement réalisé.

Fatigue, douleurs articulaires atypique, pigmentation de la peau, gros foie, diabète... En cas de signes évocateurs de la maladie, le médecin va d’abord prescrire une prise de sang pour contrôler deux paramètres cruciaux. Tout d’abord, on mesure le taux de saturation de la transferrine, généralement supérieur à 45 % à au moins deux reprises chez les patients. La prise de sang permet aussi de doser la concentration en ferritine, la protéine qui permet de stocker nos réserves de fer : elle franchit le cap des 200 microgrammes par litre chez les femmes hémochromatosiques, celui des 300 chez les hommes et peut atteindre des valeurs très élevées. À ces tests sanguins, vient si besoin s’ajouter un examen d’imagerie par IRM, pour détecter la présence de dépôts de fer dans le foie. Cet organe est en effet en première ligne car il est très avide en fer non lié à la transferrine et le stocke. 

Pour affirmer la cause génétique d’une surcharge en fer ainsi mise en évidence, le médecin fait ensuite pratiquer un test génétique capable de déceler l’anomalie du gène HFE responsable d’environ 90 % des cas d’hémochromatose héréditaire : la mutation C282Y. Chez les malades, cette mutation est présente en deux copies, l’une héritée du père, l’autre de la mère.

Frères, sœurs, père et mère : les membres de la famille d’un hémochromatique peuvent bénéficier de ce protocole diagnostique sans attendre les éventuels premiers symptômes. C’est ce qu’on appelle le dépistage familial, proposé dès l’âge de 18 ans. Une démarche vivement recommandée ! Si le test génétique révèle la présence d’une seule mutation, le sujet est « porteur sain » : il n’est pas prédisposé à la maladie, mais peut (contribuer à) la transmettre à sa descendance. Quant à la possibilité de dépister la mutation C282Y chez tout le monde (dépistage massif), la Haute autorité de santé juge pour le moment cette option trop coûteuse et trop difficile à mettre en œuvre. 


D’autres formes plus rares

Liée à une mutation C282Y sur les deux copies du gène HFE, l’hémochromatose héréditaire de type 1 est la forme la plus fréquente de la maladie. Mais il en existe d’autres, plus rares, mais qui procèdent toutes du même mécanisme : une inadaptation du niveau d’hepcidine au métabolisme du fer, en l’occurrence, une déficience. Par exemple, les formes juvéniles de la maladie (types 2A et 2B) sont respectivement liées à des mutations des gènes de l’hémojuvéline et de l’hepcidine. Comme leur nom l’indique, ces formes touchent les jeunes avec de complications possibles dès 16–18 ans, telles l’insuffisance cardiaque et la cirrhose. On recense aussi des hémochromatoses de type 3 et de type 4, moins sévères. La première est due à une mutation d’un gène codant un récepteur de la transferrine sur les cellules du foie. Quant au type 4, il se caractérise par certaines mutations très rares du gène de la ferroportine, la protéine que les cellules utilisent pour relarguer le fer qu’elles contiennent et qui est inhibée par l’hepcidine. 


Des saignées efficaces

Il n’existe pas encore de médicament qui permet de guérir l’hémochromatose. Le traitement de référence actuel consiste à pratiquer des saignées (ou phlébotomies) pour réduire le taux de fer dans le sang, et ainsi les dépôts de ferritine dans les organes. En retirant de la circulation des globules rouges à l’hémoglobine très riche en fer, l’organisme est alors obligé de puiser dans sa réserve de fer pour en fabriquer de nouveaux. 

Au départ, une saignée par semaine est généralement nécessaire, durant laquelle on prélève près de 300 à 400 ml de sang selon le poids et le sexe du patient. C’est le « traitement d’attaque ». Schématiquement, en retirant 400 ml de sang, on récupère 200 mg de fer. Dès que le taux sanguin de ferritine passe sous la barre des 50 microgrammes par litre, les saignées sont espacées de 2, 3 ou 4 mois... mais à vie. Objectif : rester sous ce seuil de 50 microgrammes par litre ; c’est le « traitement d’entretien ». 

Instaurées tôt, ces saignées améliorent rapidement la fatigue et permettent d’éviter les complications graves : atteinte du foie et du cœur, diabète... Si une cirrhose s’est déjà installée, une surveillance spécifique sera mise en place pour détecter et traiter précocement l’éventuelle apparition d’un cancer du foie. 

Dans de très rares cas, les saignées ne sont pas réalisables (par exemple en cas de mauvais réseau veineux) ou contre-indiquées (anémie, problèmes cardiovasculaires...). On peut alors administrer des médicaments capables d’éliminer le fer (chélateurs du fer). La pratique reste exceptionnelle car ces médicaments peuvent provoquer quelques effets secondaires, au contraire des saignées. 

Il n’existe pas de régime qui apporte un bénéfice particulier en cas d’hémochromatose. La consommation de thé ou de fibres alimentaires limitent cependant partiellement l’absorption de fer. En revanche, la consommation d’alcool doit être très limitée, voire stoppée en cas d’atteinte hépatique, tout comme celle d’aliments « enrichis » en fer ou de compléments en vitamine C (qui favorise l’absorption du fer).

Les enjeux de la recherche

Les chercheurs tentent aujourd’hui d’éclaircir plusieurs zones d’ombre qui persistent autour de cette maladie. Première grande question : pourquoi une telle inégalité entre les porteurs de la double mutation génétique C282Y ? En effet, certains développent de nombreux symptômes et d’autres peu, voire aucun ! Par exemple, on estime que seuls 50 % des hommes porteurs présentent des anomalies biochimiques (saturation de la transferrine, hausse du taux de ferritine). L’inégalité homme/femme aussi est intrigante, avec des manifestations trois fois moins fréquentes chez ces dernières que chez les hommes, et plus tardives : autour de 50 ans, contre 40 ans pour leurs homologues masculins. À l’Inserm, diverses études sont menées pour identifier les facteurs génétiques et environnementaux susceptibles d’expliquer ces différences. Consommation d’alcool, pertes de fer via les règles, utilisation de fer par le fœtus durant les grossesses, mutations dans d’autres gènes qui régulent l’activité de l’hepcidine et le métabolisme du fer, rôle de la testostérone, implication et/ou interactions avec d’autres métaux, liens avec d’autres métabolismes que celui du fer dont ceux des sucres et des graisses... de nombreuses pistes sont explorées ! 

Les chercheurs tentent en outre d’éclaircir d’autres mystères qui continuent de planer sur la maladie : pourquoi les saignées ne soulagent pas les douleurs ostéo-articulaires, pourquoi la maladie peut provoquer de l’ostéoporose… Là aussi, des équipes Inserm enquêtent pour en savoir plus sur les mécanismes en jeu. 

Côté traitement, les saignées sont simples, sûres, peu coûteuses et surtout efficaces : initiées assez tôt, elles permettent aux patients de ne pas développer de complications. Toutefois, elles restent contraignantes pour le malade, notamment durant la période d’activité professionnelle, parfois désagréables, et irréalisables dans certains cas. Voilà pourquoi les scientifiques explorent aussi des pistes thérapeutiques complémentaires ou alternatives dont pourraient bénéficier tous les patients. Parmi elles : un traitement à base d’hepcidine, ou de molécules capables d’en augmenter la production, ou bien encore de molécules ciblant la ferroportine, protéine dont l’hepcidine réduit l’expression pour diminuer la libération de fer dans le plasma à partir de l’intestin ou des macrophages.

Pour aller plus loin