Chronobiologie

Les 24 heures chrono de l’organisme

La chronobiologie correspond à l’étude des rythmes biologiques dans l’organisme. Ce domaine a connu un boom au cours de ces dix dernières années : les chercheurs ont découvert de nombreux mécanismes de régulation des horloges internes et évaluent de mieux en mieux l’impact majeur de son dérèglement sur la santé. Concrètement, presque toutes les fonctions de l’organisme sont soumises au rythme circadien, c’est-à-dire à un cycle de 24 heures. Ainsi, les troubles de ce rythme peuvent avoir des conséquences aussi bien sur le sommeil que sur le métabolisme, le fonctionnement du système cardiovasculaire, du système immunitaire… Les avancées en chronobiologie ont valu un prix Nobel à trois généticiens américains en 2017.

Dossier réalisé en collaboration avec Claude Gronfier, Centre de recherche en neurosciences de Lyon (CRNL), équipe Waking, unité Inserm 1028, Université Claude Bernard Lyon I (UCBL) Faculté de médecine Rockefeller 

Recherche de participants pour une étude en chronobiologie

Vous souffrez de maux de tête ? L’Inserm recherche des hommes âgés de 20 à 45 ans pour participer à un protocole de recherche. 

Pour en savoir plus

Comprendre le fonctionnement de notre horloge interne

Des fonctions de l’organisme aussi diverses que le système veille/sommeil, la température corporelle, la pression artérielle, la production d’hormones, la fréquence cardiaque, mais aussi les capacités cognitives, l’humeur ou encore la mémoire sont régulées par le rythme circadien (de circa : « proche de » et diem : « un jour »), un cycle d’une durée de 24 heures. 

Plus généralement, les données de la recherche montrent que presque toutes les fonctions biologiques sont soumises à ce rythme. Grâce à l’horloge circadienne, la sécrétion de mélatonine débute en fin de journée, le sommeil est profond durant la nuit, la température corporelle est plus basse le matin très tôt et plus élevée pendant la journée, les contractions intestinales diminuent la nuit, l’éveil est maximal du milieu de matinée jusqu’en fin d’après-midi, la mémoire se consolide pendant le sommeil nocturne… 

Ce rythme circadien est endogène, c’est-à-dire qu’il est généré par l’organisme lui-même. 

L’horloge interne, métronome de l’organisme

C’est une horloge interne, nichée au cœur du cerveau, qui impose le rythme circadien à l’organisme, tel un chef d’orchestre. Toutes les espèces animales et végétales ont leur propre horloge interne, calée sur leur rythme. Chez l’humain, cette horloge se trouve dans l’hypothalamus. Elle est composée de deux noyaux suprachiasmatiques contenant chacun environ 10 000 neurones qui présentent une activité électrique oscillant sur environ 24 heures. Cette activité électrique est contrôlée par l’expression cyclique d’une quinzaine de gènes « horloge ».

Les noyaux suprachiasmatiques régulent ensuite différentes fonctions de l’organisme grâce à des messages directs ou indirects. Ils innervent directement et indirectement des régions cérébrales spécialisées dans différentes fonctions comme l’appétit, le sommeil ou la température corporelle. Ils entraînent en outre la production cyclique d’hormones agissant à distance, sur d’autres fonctions. 

Cette horloge interne possède son propre rythme : des expériences menées avec des personnes plongées dans le noir (ou soumises à très peu de lumière) pendant plusieurs jours, sans repère de temps, ont permis de montrer que le cycle imposé par l’horloge interne dure spontanément entre 23 h 30 et 24 h 30, selon les individus. La moyenne chez le sujet sain est estimée à 24 h 10. Autant dire que si l’horloge interne contrôlait seule le rythme biologique, sans être remise à l’heure, l’humain se décalerait tous les jours. Chacun finirait ainsi par dormir à un horaire différent de la journée ou de la nuit, rendant incompatible une vie en société. L’horloge interne est donc resynchronisée en permanence sur un cycle de 24 heures par des agents extérieurs

Plusieurs synchroniseurs agissent simultanément. Le plus puissant d’entre eux est la lumière. L’activité physique et la température extérieure jouent aussi un rôle, mais leur effet est bien plus modeste. 

La lumière, indispensable à la synchronisation de l’horloge biologique

Coupe de rétine
Transmission de l’information lumineuse vers l’horloge biologique. Coupe de rétine de souris, montrant les cônes de la couche externe, en vert, et une cellule ganglionnaire à mélanopsine de grande taille, en rouge, dans la couche interne. ©Inserm/H. Cooper 

La lumière est captée au niveau de la rétine par un groupe de cellules photoréceptrices particulières : les cellules ganglionnaires à mélanopsine, sensibles au bleu. Ces cellules sont reliées aux noyaux suprachiasmatiques par un système nerveux différent de celui impliqué dans la perception visuelle (la voie rétinohypothalamique). Le signal transmis à l’horloge interne provoque la remise à l’heure du cycle pour le synchroniser sur 24h. Ce même signal est aussi transmis à d’autres structures cérébrales dites « non visuelles », qui sont notamment impliquées dans la régulation de l’humeur, de la mémoire, de la cognition et du sommeil. 

Néanmoins, les autres photorécepteurs de la rétine impliqués dans la vision, les cônes et les bâtonnets, semblent également jouer un rôle dans la régulation de l’horloge biologique avec des sensibilités différentes (couleur/spectre) de celles des cellules à mélanopsine. Les mécanismes mis en jeu restent cependant à éclaircir. 

C’est donc l’exposition à la lumière pendant la journée et l’obscurité pendant la nuit qui permettent de synchroniser l’horloge biologique à la journée de 24 heures. Et l’effet de la lumière dépend de l’heure : une exposition tardive (entre 17 h et 5 h en moyenne) retarde l’horloge, alors qu’une exposition précoce (entre 5 h et 17 h en moyenne) l’avance. L’effet de la lumière dépend aussi de son intensité. Alors que l’on croyait, il y a une vingtaine d’années, qu’il fallait des niveaux de lumière supérieurs à 1 000 lux pour affecter l’horloge, les études récentes montrent que quelques dizaines de lux suffisent : de simples bougies peuvent bloquer la sécrétion de mélatonine ! L’effet de la lumière sur l’horloge dépend aussi de son spectre (sa couleur) et sera d’autant plus important qu’il sera riche en longueurs d’ondes bleues (~460–500 nm). 

Enfin, l’effet de la lumière dépend de la durée de l’exposition lumineuse et du niveau d’exposition dans les heures qui ont précédé (c’est ce qu’on appelle l’historique lumineux). D’après de études récentes, conduites en collaboration avec l’Inserm, des expositions de 10–15 minutes en début de nuit peuvent supprimer la sécrétion de mélatonine et retarder l’horloge. D’autres travaux, y compris des études épidémiologiques, montrent que ces effets de la lumière en fin de journée sont plus faibles si l’exposition a été importante pendant la journée. 


La mélatonine, synchroniseur sous influence lumineuse

La mélatonine est une hormone dont la sécrétion est typiquement circadienne. Sa production augmente en fin de journée peu avant le coucher, contribuant à l’endormissement. Elle atteint son pic de sécrétion entre 2 et 4 heures du matin. Ensuite, sa concentration ne cesse de chuter pour devenir quasiment nulle au petit matin, un peu après le réveil. 

Le rythme de sécrétion de cette hormone est contrôlé par l’horloge interne, car il est identique chez des individus maintenus en pleine obscurité sans variation de la luminosité. De fait, la mélatonine est utilisée comme marqueur biologique de l’heure interne. 

Néanmoins, la luminosité extérieure peut affecter sa production. La lumière perçue par la rétine est transmise directement aux noyaux suprachiasmatiques qui relaient l’information jusqu’à une petite glande, l’épiphyse ou glande pinéale, qui secrète la mélatonine. L’exposition à la lumière le soir retarde l’horloge biologique, et donc la production de mélatonine et l’endormissement. Une exposition lumineuse le matin va au contraire avancer l’horloge. Ce phénomène permet, en particulier, de s’adapter aux changements d’heure et aux décalages horaires. 


Des horloges périphériques optimisent les fonctions locales

L’horloge interne est le chef d’orchestre mais il existe de nombreux musiciens qui adaptent le rythme localement dans l’organisme : ce sont les horloges périphériques. Chaque fonction biologique importante est régie par une horloge à elle, destinée à optimiser l’efficacité de cette structure locale en fonction du contexte environnemental. Ces horloges périphériques sont présentes dans tous les organes et tissus aux fonctions essentielles : cœur, poumon, foie, muscles, reins, rétine, différentes aires du cerveau (cervelet, lobe frontal...). Cela permet d’adapter leur activité au cas par cas, par exemple s’il y a travail de nuit, alimentation très riche ou encore activité physique intense. Une récente étude américaine menée chez le primate, en collaboration avec l’Inserm, indique que dans les 64 organes et tissus analysés deux tiers des gènes codants sont exprimés de façon cyclique au cours des 24 heures, avec de grandes variations d’un tissu à l’autre. Moins de 1% des gènes dont l’expression est rythmique dans un tissu le sont également dans les autres tissus confirmant le rôle majeur des horloges périphériques et leur spécificité. 

Ces horloges périphériques sont largement contrôlées par l’horloge centrale : si les noyaux suprachiasmatiques sont lésés, les horloges périphériques se désynchronisent et se mettent à travailler en cacophonie. Ce phénomène de désynchronisation s’observe aussi au cours du vieillissement et dans certaines pathologies. Mais d’autres synchroniseurs agissent sur ces différentes horloges périphériques : l’alimentation, en particulier au niveau du foie, ou encore la température corporelle ou l’exercice physique, notamment pour l’horloge située dans le tissu musculaire. En outre, ces horloges communiquent entre elles par des moyens qui restent à identifier. Ainsi, des signaux extérieurs peuvent perturber la synchronisation de ces horloges périphériques. De récents travaux ont par exemple permis de constater des bouleversements de l’horloge de plusieurs organes en réponse à une alimentation riche en graisse : le métabolisme de différentes molécules se trouve bouleversé au cours de 24 heures, que ce soit dans le sérum, le foie ou le cerveau. 

Le fonctionnement des horloges périphériques repose sur des mécanismes moléculaires identiques à ceux de l’horloge centrale, passant par l’expression locale cyclique des gènes « horloges ». Au niveau de la rétine par exemple, ces gènes s’expriment dans des neurones où se situe l’horloge périphérique. Le fait d’altérer localement l’expression de ces gènes perturbe le fonctionnement de la rétine même si les noyaux suprachiasmatiques de l’horloge interne sont totalement fonctionnels. 

Photographie issue d'une vidéomicroscopie en fluorescence de fibroblastes de souris en prolifération, transformés avec un système rapporteur d’horloge (en vert) et du cycle cellulaire (en rouge et bleu). © Inserm/iBV/C. Feillet
Le rythme des divisions cellulaires est couplé à celui de l’horloge biologique interne. Pour parvenir à cette démonstration, une équipe niçoise (unité Inserm 1091) a travaillé in vitro sur des fibroblastes « uniques », c’est-à-dire séparés les uns des autres. Grâce à des molécules fluorescentes, ils y ont suivi l’expression d’un gène de l’horloge biologique et de deux marqueurs de phases du cycle cellulaire. Cette technique leur a permis de visualiser conjointement l’activité oscillante de l’horloge biologique et l’avancée des divisions cellulaires. Photographie issue d’une vidéomicroscopie en fluorescence de fibroblastes de souris en prolifération, transformés avec un système rapporteur d’horloge (en vert) et du cycle cellulaire (en rouge et bleu). © Inserm/iBV/C. Feillet 

La chronopharmacologie : le bon médicament au bon moment 

Les oscillations circadiennes du fonctionnement de l’organisme et de chaque organe rendent l’organisme plus ou moins sensible à certains médicaments au cours du cycle de 24 heures. Pour plusieurs molécules, des études ont permis d’identifier des schémas horaires d’administration optimaux pour une tolérance maximale et une toxicité minimale. 

Ce concept est utilisé en cancérologie à l’hôpital Paul Brousse (AP-HP, Villejuif), par le Dr Francis Lévi, ancien directeur de l’unité Rythmes biologiques et cancers (unité 776 Inserm/université Paris Sud), et actuellement directeur du groupe Chronotherapy à la Faculté de Médecine de Warwick (Royaume-Uni). Il l’applique chez ses patients atteints de cancers digestifs. L’anticancéreux fluorouracile, par exemple, s’avère plus efficace et 5 fois moins toxique lorsqu’il est perfusé la nuit autour de 4 h du matin, plutôt qu’à 4 h de l’après-midi. 

Encore sous exploitée, cette approche est amenée à se développer. Une étude récente montre que l’expression de deux tiers des gènes est fortement rythmée au cours de 24 heures et que 82% de ces gènes codent des protéines ciblées par des médicaments ou sont des cibles thérapeutiques pour de futurs traitements. La chronopharmacologie a donc de beaux jours devant elle et plusieurs essais cliniques sont en cours pour tester les rythmes d’administration d’anticholestérolémiants ou encore d’anti-inflammatoires.

Chronothérapie : se soigner à la bonne heure augmente vos chances de guérir du cancer – interview – 2 min 52 – France Culture (2018)

Comprendre les troubles du rythme circadien

Les troubles circadiens sont souvent décelés par une position du sommeil anormale au cours des 24 heures. Mais ils sont associés à bien d’autres perturbations : métaboliques, cardiovasculaires, immunitaires, cognitives et cellulaires. Il semble de plus en plus évident que pas une seule fonction biologique n’échappe au contrôle circadien. 

La classification internationale des troubles du sommeil distingue différents types de troubles des rythmes circadiens du sommeil, dont les plus fréquents sont : 

  • L’avance de phase : les individus s’endorment très tôt, par exemple vers 20 h, et se réveillent très tôt, par exemple vers 4 h du matin. Ce phénomène s’observe davantage chez les personnes âgées, mais il peut aussi s’observer à tous les âges.
  • Le retard de phase : les individus s’endorment très tard, au milieu de la nuit et s’éveillent spontanément en fin de matinée, s’ils en ont la possibilité. Ce syndrome émerge souvent au cours de la puberté et il est relativement fréquent chez les adolescents et les jeunes adultes.
  • Le libre court est un phénomène fréquent chez les personnes aveugles, mais mal diagnostiqué et traité. En absence d’un œil fonctionnel, l’horloge centrale n’est pas synchronisée par la lumière, les rythmes biologiques exprimés sont alors ceux de l’horloge interne non synchronisée (entre 23 h 30 et 24 h 30 selon les individus). La personne décale tous les jours son sommeil, par exemple en se couchant une demi-heure plus tard pour un individu ayant une horloge de 24 h 30. Dans ce cas précis, le sommeil n’est nocturne et de bonne qualité que pendant quelques jours tous les 48 jours !

Dans les cas d’avance ou de retard de phase, les personnes sont incapables de s’endormir et de se réveiller aux heures voulues. S’ils s’obligent à respecter des horaires normaux, des troubles quantitatifs et qualitatifs du sommeil, une fatigue chronique, des troubles cardiovasculaires, métaboliques, ou encore des troubles du comportement (irritabilité ou apathie) risquent d’apparaître.

Il est vraisemblable que les troubles circadiens du sommeil ont différentes origines selon les individus. Les avances ou retards de phase ont une base génétique. Il existe en effet des familles dont plusieurs membres présentent l’un de ces syndromes. Les études montrent que des mutations ou des polymorphismes de certains gènes « horloges » peuvent en être responsables. 

D’autres facteurs, notamment des maladies (dépression, anxiété, cancer) pourraient également favoriser une désynchronisation de l’horloge interne. Les comportements individuels (mauvaise hygiène de sommeil et de lumière) peuvent aussi être responsables ou accentuer des désynchronisations circadiennes. Enfin, des sensibilités différentes à la lumière ou aux autres synchroniseurs pourraient expliquer ce phénomène. 

Des troubles du rythme circadien sont associé à une augmentation du risque de :

  • somnolence / troubles du sommeil
  • troubles métaboliques et cardiovasculaires
  • cancers
  • altération des fonctions cognitives
  • dépression, anxiété, troubles de l’humeur chez les personnes âgées
  • troubles du sommeil et de l’humeur associés à la maladie de Parkinson

Le travail de nuit : une plaie pour la santé

L’étude des conséquences des troubles circadiens a principalement été menée chez les travailleurs postés (organisation du travail en rotation en 3 x 8 heures sur 24 heures). Le travail de nuit induit une désynchronisation de l’horloge biologique en raison des changements d’exposition à la lumière et d’une dette de sommeil. De nombreuses études sont parues sur les liens entre ce rythme de travail et les risques pour la santé et notamment la survenue de cancers, à l’image d’une récente étude Inserm basée entre autres sur la cohorte CECILE. Elle montre que les femmes non ménopausées qui travaillent au moins 3 heures entre minuit et 5 h du matin ont un risque de cancer du sein augmenté de 26% et ce risque croît avec la fréquence des nuits travaillées et la durée de l’emploi. Le Centre international de recherche sur le cancer (Circ), sous l’égide de l’OMS, a d’ailleurs inscrit le travail posté à la liste des agents « probablement cancérogènes » en 2007. Une récente expertise collective de l’Anses (2016) confirme l’augmentation du risque du cancer du sein chez les femmes exposées et va plus loin encore en concluant que le travail de nuit est un facteur de risque probable de cancer en général.

L’expertise Anses met en avant de très nombreux autres troubles induits de manière avérée ou probable par le travail de nuit : la somnolence, les troubles du sommeil, une altération des performances cognitives, une augmentation du risque d’obésité, de diabète de type 2, de maladies coronariennes, de dyslipidémies, d’hypertension artérielle et d’accidents vasculaires cérébraux ischémiques.

Pour ces raisons, l’Anses a émis plusieurs recommandations afin de limiter le travail de nuit à des situations nécessitant d’assurer les services d’utilité sociale ou la continuité de l’activité économique (hôpitaux, services d’utilité publique...) et avec une organisation permettant d’en minimiser l’impact pour la santé des salariés. L’expertise a aussi recommandé de mettre en place des protocoles de recherche dans ce domaine, fondamentaux et cliniques, afin de mieux comprendre les mécanismes impliqués dans les troubles observés. L’objectif est de pouvoir proposer des solutions aux employés, aux employeurs et aux médecins du travail, qui sont souvent démunis dans cette situation. En 2012, 3,5 millions de personnes, soit 15,4% des salariés (21,5% des hommes et 9,3% des femmes salariés), travaillaient régulièrement ou occasionnellement de nuit. 

La lumière, bleue en particulier, puissant désynchronisateur 

Pour une même intensité lumineuse perçue, la lumière bleue LED active 70 fois plus les récepteurs photosensibles non visuels de la rétine que la lumière blanche d’une lampe fluorescente de même intensité. Elle génère donc le message d’une exposition massive à la lumière, directement transmis aux noyaux suprachiasmatiques. 

Cette lumière bleue est émise en particulier par les écrans LED des ordinateurs, des téléviseurs ou encore des téléphones mobiles. S’exposer en excès à ce type d’écran, notamment le soir, provoque une baisse de somnolence, un regain de vigilance et retarde l’endormissement avec une dette de sommeil si l’heure de lever ne peut être retardée. 

Des études attestent de l’impact négatif de l’utilisation importante de ces écrans le soir sur le sommeil des enfants et des adolescents : une utilisation intensive est en moyenne associée à une heure trente de sommeil en moins par rapport aux faibles utilisateurs, et avec un risque accru de troubles de l’humeur et d’échec scolaire. Il existe également une augmentation du risque de troubles métaboliques (risque accru de surpoids, d’obésité et de diabète) corrélés avec la durée passée sur les écrans. Ce risque est en effet associé aux perturbations du rythme circadien et non pas uniquement à la sédentarité. Pour le limiter, il faut veiller à réduire la durée d’exposition aux écrans, les sortir de la chambre à coucher et interrompre leur l’utilisation au moins 1 h avant le sommeil. Il est aujourd’hui possible d’acheter des filtres à la lumière bleue ou de télécharger des applications permettant de réduire l’émission de ces lumières à partir des écrans. Mais ces dispositifs n’ont pas été évalués scientifiquement et leur intérêt reste à vérifier. 

La lumière bleue est également extrêmement présente en ville, notamment via les éclairages urbains, de plus en plus fréquemment à base de LEDs, allumés en permanence, ou a minima tard dans la nuit. Plusieurs études épidémiologiques montrent une association qui reste à confirmer entre le niveau d’exposition aux éclairages nocturnes et certains troubles dont des troubles du sommeil, des problèmes métaboliques et les cancers, notamment du sein. En outre, de récents travaux en laboratoire montrent qu’une faible intensité de lumière (quelques lux) ou même des durées d’exposition très courtes tels que des flashs lumineux de quelques millisecondes sont suffisants pour affecter l’horloge biologique. Cela interpelle sur l’impact de toutes sortes de pollution lumineuse sur la qualité du sommeil et la santé : utilisation d’écrans pendant la nuit, absence d’obscurité durant le sommeil... même pendant de courtes durées et même à faible intensité. Cela permet aussi d’envisager de belles applications en perspectives (certaines sont en cours d’étude) pour le traitement de certains troubles du sommeil. 

Un groupe de travail de l’Anses planche actuellement (2018) sur les effets sanitaires des LEDs, afin d’émettre des recommandations. 

Lumière et rythmes – interview – 3 min 51 – vidéo extraite de la série POM Bio à croquer (2013)

L’importance de la régularité et de l’horaire des repas

Le rythme des prises alimentaires a un impact direct sur la santé et peut contribuer à synchroniser les horloges biologiques ou au contraire les perturber. Une alimentation très distribuée sur 24 heures désynchronise par exemple les horloges périphériques permettant de réguler le métabolisme, en particulier au cours de la nuit. Les animaux nourris de cette façon (ad libitum) ont davantage de troubles métaboliques que ceux qui mangent en même quantité mais à l’occasion de repas réguliers ou restreints à une partie de la journée seulement. Chez la souris, imposer cette discipline protège de l’obésité. Chez l’humain, de récents suivis de cohorte ont permis d’établir une association entre l’heure des repas et le risque de cancer du sein ou encore de la prostate. Dans ces études, les individus qui mangent dans l’heure précédent le coucher ont un risque accru de cancer par rapport à ceux dont le dernier repas se termine plusieurs heures avant. 

Le thème de la nutrition en chronobiologie est en train d’émerger et consiste à étudier le rythme optimal des prises alimentaires pour la santé. De nombreux régimes dits chronorégimes ou reposant sur la chrononutrition sont déjà proposés dans le commerce et dans des ouvrages, mais leur efficacité et leur supériorité par rapport à d’autres approches n’ont pas été démontrées par des études scientifiques. 

Ils désynchronisent l’horloge interne : 1- Le travail de nuit 2- La lumière bleue en excès ou le soir 3- Un mauvais rythme alimentaire

Troubles du rythme et affections psychiatriques et neurologiques

Les troubles du rythme circadien pourraient également favoriser le déclin cognitif et les troubles associés comme la dépression, l’anxiété et les troubles de l’humeur. Un travail a montré que le fait d’augmenter l’exposition à la lumière de personnes âgées institutionnalisées au cours de la journée améliorait le sommeil nocturne, la vigilance diurne, et ralentissait le déclin cognitif et réduisait les symptômes dépressifs. Traiter leurs troubles du rythme par photothérapie est une piste de recherche actuelle intéressante, qui doit se développer. 

Les personnes atteintes de la maladie de Parkinson présentent également des troubles du sommeil et de l’humeur. Un protocole de photothérapie réduit ces troubles mais aussi, contre toute attente, les tremblements et troubles moteurs typiques de la maladie. Cette nouvelle piste doit également être davantage explorée. 

La photothérapie, traitement de référence

De plus en plus de troubles sont désormais liés à des perturbations de l’horloge biologique, suggérant le potentiel important des traitements par des approches chronobiologiques. La photothérapie (anciennement appelée luminothérapie) est actuellement le traitement de référence de certaines pathologies. 

Des protocoles cliniques existent pour traiter les troubles des rythmes circadiens du sommeil mais aussi des troubles de l’humeur (y compris chez le malade parkinsonien et chez le sujet âgé) ainsi que des dépressions saisonnières et non saisonnières. Il ne fait pas de doute que la liste des indications s’allongera dans les années à venir, tant l’horloge biologique est au cœur du fonctionnement optimal de l’organisme. Ces traitements doivent être prescrits par des spécialistes du sommeil ou des médecins formés à la chronobiologie, après évaluation des potentielles contre-indications, car un diagnostic précis doit être posé, et un traitement adapté à chaque individu doit être prescrit. 

Cette thérapie repose sur une exposition à une lumière de forte intensité et de durée précise (entre 30 minutes à 1 heure en général), à un horaire particulier qui dépend des individus et du trouble. Par exemple, un adolescent ou un adulte en retard de phase devra s’exposer pendant 30 à 60 min à une lumière blanche de 5 000–10 000 lux à l’heure de réveil souhaitée, quotidiennement. Il devra aussi diminuer son exposition à la lumière le soir, et supprimer tout appareil électronique avec écran de sa chambre à coucher au moins une heure avant l’heure de coucher souhaitée. Dans certains cas, un comprimé de mélatonine à prendre le soir peut être additionnellement prescrit. 

Une hygiène de lumière particulière, avec des horaires précis d’exposition, est également conseillée aux travailleurs postés. Les études montrent que le fait d’augmenter l’intensité lumineuse pendant le travail de nuit, puis de diminuer l’exposition un peu avant le coucher à domicile et de dormir dans des conditions d’obscurité totale sont favorables à la synchronisation de l’horloge biologique. Cela permet une meilleure vigilance pendant les heures de travail puis un sommeil de meilleure qualité. 


L’hygiène de lumière 

Cette notion émergente est maintenant prise en considération avec beaucoup d’intérêt car la lumière permet la remise à l’heure de l’horloge biologique et est synonyme d’éveil pour l’organisme. En activant un ensemble de mécanismes biologiques, la lumière permet une vigilance et un fonctionnement cognitif de bonne qualité pendant la journée. C’est la bonne exposition à la lumière de jour et l’obscurité la nuit qui permettent une synchronisation optimale de l’horloge biologique et un bon sommeil nocturne. Une mauvaise hygiène de lumière peut être responsable de troubles et de pathologies.


Des règles élémentaires d’hygiène de sommeil sont également nécessaires pour favoriser la resynchronisation : éviter le sport et les écrans avant de dormir, se coucher à une heure raisonnable (correspondant aux besoins de sommeil), dans le noir et au calme, ou encore se relever en cas d’impossibilité de s’endormir, sans s’exposer à des lumières riches en bleu (LEDs, ampoules fluorescentes froides) ou de forte intensité. Pour en savoir plus, consulter notre dossier Sommeil

L’utilisation de la mélatonine pourrait également se développer. Elle est actuellement recommandée dans le traitement du retard de phase, le libre-cours de l’aveugle, le décalage horaire, et dans certaines situations de travail de nuit. Elle est aussi recommandée dans les troubles du spectre autistique et dans le trouble du déficit de l’attention. Là encore, ce traitement doit être prescrit par des médecins formés à la chronobiologie. La bonne efficacité de la mélatonine est reconnue, mais des études sont encore nécessaires pour optimiser la dose et l’horaire de traitements qui peut dépendre du patient (selon son chronotype). 

Enfin, des médicaments qui agissent sur l’horloge biologique pourraient voir le jour dans le futur, afin de la retarder ou de l’avancer. Des travaux sont actuellement conduits dans ce sens, avec par exemple des molécules destinées à bloquer le signal des cellules ganglionnaires à mélanopsine. Les patients pourraient toujours voir (grâce à leurs cônes et leurs bâtonnets), mais l’horloge centrale ne percevrait pas ou peu la lumière externe. Reste à savoir si ces molécules présenteront un avantage par rapport à des lunettes de soleil, faciles d’utilisation. D’autres molécules en cours de développement ciblent directement la mécanique de l’horloge biologique. Elles pourraient avoir un intérêt dans les troubles circadiens décrits plus haut. 

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