Techniques de préservation de la fertilité

Avoir un enfant après un traitement toxique

Diverses techniques sont aujourd’hui disponibles pour préserver la possibilité d’avoir un enfant à l’issue d’un traitement potentiellement toxique pour l’appareil reproducteur. La loi de bioéthique impose à chaque praticien d’informer ses patients sur cette possibilité avant la mise en œuvre d’un traitement pouvant affecter sa fertilité. Ce dossier fait le point sur les méthodes actuelles et en cours de développement, ainsi que de leurs indications.

Dossier réalisé en collaboration avec le Dr Michael Grynberg, gynécologue-obstétricien, maître de conférence, praticien hospitalier – Service de médecine de la reproduction, Hôpital Jean Verdier, Bondy / Université Paris XIII / Unité Inserm 782, Clamart

Comprendre la problématique

La prise en charge de diverses maladies nécessite l’utilisation de traitements potentiellement toxique pour l’appareil reproducteur. Les personnes atteintes de cancers solides ou d’hémopathies malignes (cancers du sang) sont particulièrement concernés par cette problématique : les chimiothérapies antitumorales, la radiothérapie ou encore la chirurgie pelvienne peuvent en effet, à des degrés divers, être à l’origine d’altérations quantitative et/ou qualitative de la gamétogenèse (mécanisme biologique conduisant à la formations des ovocytes et des spermatozoïdes), du fonctionnement des ovaires et des testicules, ou encore de la sexualité. 

Ces altérations surviennent généralement pendant le traitement et persistent parfois définitivement. Le risque dépend : 

  • du type de traitements administrés
  • des doses utilisées
  • de l’âge auquel ils sont réalisés

Par exemple, chez la femme, une irradiation pelvienne (radiothérapie) entraine un risque d’insuffisance ovarienne prématurée, c’est à dire un déficit en ovules avant l’âge habituel de la ménopause. Ce risque est de l’ordre de 8% si la radiothérapie a été faite avant 18 ans, contre 0,8% dans la population générale. Le traitement par Iode 131 à haute dose (800 mCi) utilisé en cas de pathologie thyroïdienne est quant à lui associé à un risque d’infertilité permanente de l’ordre de 60% chez la femme et de 90% chez l’homme.

La préservation de la fertilité peut également être recommandée lorsqu’un projet de grossesse doit être repoussé après un traitement anti-cancéreux, en raison du risque de rechutes et/ou du risque de développement anormal de l’embryon. Par exemple, après un cancer du sein hormonodépendant, une hormonothérapie est classiquement prescrite pour une durée de cinq ans pendant laquelle il est recommandé de ne pas concevoir. Chez la femme de plus de 35 ans, ce délai peut lui faire perdre du potentiel de fertilité, tant naturel que médicalement assisté, en la confrontant au vieillissement ovarien physiologique. 

D’autres indications que le cancer

Des malades souffrant de problèmes hématologiques bénins (drépanocytose, thrombocytémie essentielle) ou auto-immuns (lupus, polyarthrite rhumatoïde), et plus globalement ceux atteints par toutes les maladies susceptibles d’être traitées par des molécules toxiques pour les ovaires et les testicules ou de toxicité encore mal évaluée pour la fonction de reproduction sont également éligibles à une préservation de leur fertilité. 

D’autres indications non médicales concernent des femmes qui souhaitent différer un projet de grossesse. Plusieurs pays autorisent ainsi la congélation d’ovocytes simplement dans le but de repousser l’âge de la maternité sans avoir à subir le déclin de la fertilité lié au vieillissement. Cette pratique est actuellement interdite en France par la loi de bioéthique. Dans un rapport rendu public en juin 2017, l’Académie nationale de médecine s’est cependant prononcée en faveur de l’autoconservation des ovocytes aux femmes qui le souhaitent.

Une sensibilité individuelle et des risques souvent difficiles à évaluer

Le niveau de toxicité d’un traitement reste difficile à évaluer précisément car il dépend du type de molécules utilisées, de leurs doses et de la fonction ovarienne ou testiculaire au moment de la mise en œuvre du traitement. S’il est bien établi que les agents dits « alkylants » utilisés en chimiothérapie (cyclophosphamide, chlorambucil, procarbazine…) sont les molécules les plus agressives pour le tissu gonadique (ovarien et testiculaire), il existe des variations individuelles de sensibilité aux agents chimiothérapeutiques qui rendent difficile la possibilité de prédire avec certitude l’état de la fonction gonadique à l’issue du traitement. 

De fait, une préservation de la fertilité doit être envisagée à titre préventif pour tous les enfants et les adultes en âge de procréer qui vont recevoir un traitement potentiellement toxique pour l’appareil reproducteur.


Des milliers de personnes concernées mais peu de cas en pratique

L’amélioration des soins en cancérologie offre souvent un bon pronostic aux patients jeunes, notamment aux enfants dont la survie à 5 ans dépasse aujourd’hui 80%. En 2015, 2200 enfants et adolescents ont eu un cancer (1 750 chez les moins de 15 ans et 450 chez les adolescents de 15 à 19 ans), ainsi que près de 6 000 hommes âgés de 24 à 40 ans, et environ 5 000 femmes âgées de 24 à 35 ans. Préserver leur fertilité est un enjeu majeur pour leur qualité de vie ultérieure. 

Toutes ces personnes sont théoriquement éligibles à une préservation de leur fertilité. Dans les faits, en 2015, seulement 784 nouvelles conservations d’ovocytes et 322 nouvelles conservations de tissu ovarien ont été réalisées chez les jeunes femmes/filles. Du côté masculin, 4 705 nouvelles autoconservations de spermatozoïdes ont été réalisées dans le contexte de la préservation de la fertilité et 82 conservations de tissus testiculaires chez des patients jeunes pour lesquels il a été impossible de recueillir un éjaculat. Au total, au 31 décembre 2015, 53 999 patients disposaient de gamètes et/ou de tissus germinaux conservés en vue de préservation de la fertilité. Dans 91% des cas, il s’agissait de spermatozoïdes. 


Les différentes techniques de préservation de la fertilité

Certaines techniques de préservation de la fertilité sont encore en cours de développement, notamment en ce qui concerne la congélation des tissus germinaux (ovariens et testiculaires). Cependant, les progrès sont fulgurants. Ils offrent aux adolescents dont on congèle aujourd’hui du tissu un réel espoir de pouvoir concevoir un enfant dans 10 ou 15 ans. 

Préservation de la fertilité masculine

Conservation du sperme

La congélation du sperme est pratiquée depuis environ 30 ans. Les échantillons sont recueillis par masturbation chez les personnes qui ont des spermatozoïdes matures (en général à partir de 12 ans). Néanmoins, dans plus de 10% des cas, le recueil peut poser problème compte tenu de l’état de santé du patient ou de son âge (jeune adolescent notamment). En outre, les caractéristiques du sperme (le nombre de spermatozoïdes et leur mobilité) peuvent être sévèrement diminuées du fait de l’état général du patient. Dans ces situations, un prélèvement chirurgical de spermatozoïdes directement dans les testicules peut être envisagé, même de façon urgente.
Après décongélation, les spermatozoïdes peuvent être utilisés pour une insémination intra-utérine ou encore pour une fécondation in vitro.
Actuellement, 40 000 hommes disposent de sperme congelé en France. 

Conservation de tissu testiculaire

Chez le garçon prépubère, le recueil de spermatozoïdes par masturbation est impossible. Il est donc proposé de prélever et de congeler du tissu testiculaire. Le prélèvement s’effectue au cours d’une intervention chirurgicale. L’objectif est d’utiliser ces échantillons de tissu pour réaliser une maturation in vitro des cellules germinales immatures qu’ils contiennent. Une autre possibilité est de réimplanter le tissu prélevé à l’issue du traitement toxique. Ces deux techniques sont encore expérimentales. La greffe devrait théoriquement permettre de restaurer la fonction totale du testicule, mais aucun essai n’a encore permis de valider ce postulat. En outre, il existe un risque théorique de réintroduire des cellules malignes présentes dans le tissu prélevé chez le patient (malgré les précautions prises). Un protocole de recherche appelé Prosperma vise actuellement à optimiser ces procédés en recherchant des spermatogonies souches dans le tissu testiculaire de jeunes garçons (2 à 16 ans) en attente d’une allo- ou autogreffe de cellules souches hématopoïétiques.

Préservation de la fertilité chez l’homme après un traitement lourd – interview/reportage – 3 min 37 – vidéo de l’AP-HP (2016)

Préservation de la fertilité féminine

Conservation ovocytaire ou embryonnaire

Cette technique nécessite le prélèvement d’ovocytes. Il se fait par ponction transvaginale, à l’issue d’un traitement hormonal (stimulation ovarienne, pour en savoir plus consultez notre dossier sur l’assistance médicale à la procréation).

La congélation des ovocytes a longtemps été plus problématique que celle du sperme, en raison du volume et de la teneur en eau des gamètes féminins. Cette difficulté a été contournée grâce à la « vitrification ». Cette technique de congélation ultrarapide consiste à plonger les cellules directement dans l’azote liquide, à ‑196°C, au lieu de procéder à une congélation lente comme pour le sperme. La vitrification évite la formation de cristaux qui altéraient dans l’ovocyte lors de la décongélation. 

Dans certains cas, le délai nécessaire à la stimulation ovarienne ne peut être respecté compte tenu de l’urgence du traitement anticancéreux. Par ailleurs, en cas de cancer hormonodépendant, cette stimulation est théoriquement contre-indiquée. Dans ces situations, il est possible de prélever des ovocytes immatures (sans stimulation ovarienne), de les faire maturer in vitro, puis de congeler les ovocytes matures ou de les féconder en vue d’une cryopréservation embryonnaire. 

La cryopréservation d’embryons se pratique quant à elle en routine depuis plus de 25 ans, dans tous les centres d’assistance médicale à la procréation. Plus de 90% des embryons résistent aujourd’hui à la décongélation et le transfert d’embryon congelé donne une naissance dans environ 10% des cas. 

Conservation du tissu ovarien

Chez les femmes pubères et prépubères, il est aussi possible de prélever et de congeler du tissu ovarien depuis 1995. Cette technique est particulièrement indiquée en cas de traitement très toxique pour les ovaires, tel qu’une radiothérapie pelvienne ou une chimiothérapie à base d’alkylants à fortes doses. Elle permet de préserver un grand nombre de follicules en vue d’une greffe ultérieure. Le prélèvement est réalisé à l’occasion d’une cœlioscopie et peut être effectué sans délai, quelle que soit la phase du cycle. 

La transplantation d’un ou plusieurs fragments ovariens a pour objectif de rétablir une fonction ovarienne complète. Elle permet d’envisager des grossesses naturelles ou médicalement assistées. La durée fonctionnelle des greffons est variable, de quelques mois à plusieurs années, permettant ainsi d’envisager plusieurs grossesses. 

Néanmoins, le risque théorique de réimplanter des cellules malignes présentes dans le greffon n’est pas nul et il peut constituer une contre-indication à cette stratégie. A ce titre, une équipe Inserm a récemment développé un protocole permettant de dépister la présence éventuelle de cellules cancéreuses dans du tissu ovarien. Les chercheurs ont développé des marqueurs des cellules tumorales de leucémies aigues qui se fixent sur leur cible en cas de présence au sein des cellules du tissu et permettent de les repérer. Leur technique, testée en situation réelle sur des fragments d’ovaire de quatre patientes atteintes de leucémies aiguës myéloïdes, a permis de retrouver des cellules cancéreuses dans deux d’entre eux à des concentrations très faibles, contre-indiquant l’autogreffe. Actuellement, le CHRU de Besançon propose l’analyse des échantillons de tissu ovarien congelés en cas de leucémie aiguë. L’analyse peut être réalisée sur des échantillons d’autres centres de préservation de la fertilité. 

Des recherches très actives sont par ailleurs menées pour permettre l’obtention de follicules matures à partir des follicules primordiaux contenus dans les fragments de tissu ovarien. Ces techniques de « folliculogenèse in vitro » permettront à terme d’éviter les greffes, en particulier dans les cas où un risque de réintroduction de cellules malignes n’est pas exclu. 


La préservation de la fertilité en pratique

En France, la loi de bioéthique impose à tout professionnel de santé d’informer son patient des risques potentiels pour sa fertilité en cas de traitement toxique et de lui proposer éventuellement la mise en place de techniques de préservation de la fertilité. Le patient doit signer un consentement obligatoire pour la conservation de ses gamètes (ovules ou spermatozoïdes) ou de ses tissus germinaux (ovariens ou testiculaires). Pour les mineurs, les titulaires de l’autorité parentale doivent signer ce consentement en veillant à ce que l’enfant comprenne au mieux de quoi il retourne. 

La conservation des gamètes et/ou de tissus germinaux est proposée dans 49 centres clinico-biologiques d’assistance médicale à la procréation spécifiquement autorisés. Chaque année, les centres s’assurent par écrit de la volonté des patients de poursuivre ou non la conservation. En cas de décès, les échantillons sont détruits. 

Les techniques de prélèvement et de congélation des gamètes ou tissus testiculaires sont prises en charge par l’assurance maladie. Cependant, les frais de conservation restent à la charge du patient. 


Préservation de la fertilité chez la femme après un traitement lourd – interview/reportage – 6 min 54 – vidéo de l’AP-HP (2016)

Quels résultats en termes de fertilité ?

La réutilisation des gamètes et/ou tissus germinaux conservés reste très limitée en 2015. Certains patients, encore très jeunes, ne sont pas en situation de faire une demande de restauration de la fertilité. Par ailleurs, les techniques de préservation et de restauration ne sont pas toutes stabilisées. Certaines ne sont autorisées que récemment (vitrification ovocytaire), d’autres relevant encore de la recherche (greffe de cortex ovarien), d’autres enfin gardent un caractère expérimental sans application clinique possible encore à ce jour (tissu testiculaire chez le garçon prépubère). En outre, dans certains cas, la fertilité n’a finalement pas été altérée par la pathologie et ses traitements et les patients ne présentent pas l’infertilité qui justifierait de recourir à une AMP utilisant les gamètes autoconservés. 

Toutefois, on sait que l’utilisation d’embryons ou de gamètes (spermatozoïdes ou ovocytes matures) congelés, est associée à des chances de grossesse variant de 10 % à 22 % par tentative, en fonction des techniques de procréation médicalement assistée utilisées (consultez notre dossier sur l’assistance médicale à la procréation). Concernant l’utilisation d’ovocytes congelés, stratégie plus récente, elle a actuellement déjà conduit à environ 10 000 naissances dans le monde. 

La maturation in vitro d’ovocytes (MIV) fonctionne également, bien que les résultats restent moins bons que ceux obtenus avec des gamètes recueillis après stimulation ovarienne. Plusieurs milliers d’enfants sont nés à travers le monde grâce à une MIV sans congélation, mais ils sont encore très peu a être issus d’une FIV réalisées à partir d’un ovocyte maturé in vitro et congelé. En France, le recours à la MIV a concerné 76 tentatives, avec 40 transferts embryonnaires. Dix enfants en sont issus. Cette technique est proposée par seulement cinq centres d’AMP dont les hôpitaux Antoine Béclère à Clamart et Jean Verdier à Bondy.

Quant à la conservation du tissu ovarien, depuis 2004, environ 130 naissances ont été obtenues dans le monde après décongélation et greffe, naturellement ou par assistance médicale à la procréation, dont 9 en France. 

Pour aller plus loin