Croissance et troubles de la croissance

Grandir, une histoire d’hormones mais pas seulement

La croissance est un phénomène éminemment complexe, influencé à la fois par la génétique, l’environnement et les interactions entre ces deux facteurs. Les mécanismes n’en sont pas tous connus, mais les chercheurs espèrent en savoir davantage dans les années qui viennent, grâce à l’apport de la génétique, de l’épigénétique et des ‑omiques.

Dossier réalisé en collaboration avec Yves Le Bouc et Irène Netchine, médecins, praticiens hospitaliers en explorations fonctionnelles endocriniennes pédiatriques (Hôpital Trousseau, Paris), directeurs de l’équipe Système IGF et croissance foetale et post-natale au Centre de recherche Saint-Antoine (unité 938 Inserm/UPMC), Paris

Comprendre la croissance et ses troubles

Une taille adulte est considérée comme « normale » lorsqu’elle correspond à celle atteinte par 95 % de la population, c’est-à-dire entre 162 cm et 190 cm pour un homme (176 cm en moyenne) et entre 152 cm et 177 cm pour une femme (164 cm en moyenne). 

Des courbes de croissance, une pour les filles et une autre pour les garçons, permettent de vérifier qu’un enfant grandit normalement et atteint cette taille cible. Elles ont été mises à jour en 2018, grâce au recueil et à l’analyse d’environ 5 000 000 de mesures de poids, de taille ou de périmètres crâniens, provenant de 261 000 enfants âgés de 0 à 18 ans. Ces courbes sont en réalité des « couloirs », délimités par des lignes qui représentent les tailles extrêmes, observées chez 2,5 % des enfants qui se situent au-dessus de la ligne supérieure et 2,5 % des enfants au-dessous de la ligne inférieure. 

On considère qu’un enfant présente un trouble de la croissance lorsque sa taille est inférieure à la limite basse de la courbe de référence. Néanmoins, celui-ci peut être ponctuel : un suivi très régulier permet de voir si un rattrapage s’effectue dans les mois qui suivent. Par exemple, 90 % des enfants qui naissent avec un retard de croissance intra-utérin rattrapent la taille normale des enfants de leur âge au bout d’un ou deux ans. La courbe de croissance permet aussi de mettre en évidence certains troubles de la croissance qui se manifestent plus tardivement par un ralentissement, puis une stagnation de la croissance. 

Le suivi idéal consiste à mesurer (et peser) son enfant tous les 3 mois jusqu’à 1 an, puis tous les 6 mois jusqu’à 4 ans, puis chaque année afin de vérifier que sa taille s’inscrit bien dans le « couloir » de la courbe de référence et qu’elle suit une progression régulière. 

Courbes de croissance de 1 à 18 ans, filles et garçons, extraite du carnet de santé français, mise à jour 2018

Télécharger les courbes de croissances 2018 


La taille définitive, une affaire partiellement génétique

Le patrimoine génétique d’une personne a une influence sur sa taille définitive. Les scandinaves sont par exemple en moyenne plus grands que les méditerranéens. Cette différence se maintient chez les personnes atteintes d’une même maladie affectant la croissance. Néanmoins de très nombreux facteurs interfèrent avec l’effet des gènes : l’environnement, la santé globale de l’enfant, le moment de la puberté et l’alimentation peuvent contrebalancer les effets de la génétique. 


Une croissance par « à coups »

La croissance post-natale est très rapide. La taille des enfants passe en moyenne de 50 cm à la naissance à 75 cm au bout de la première année, puis elle atteint généralement 100 cm à l’âge de quatre ans. Ce rythme décélère ensuite, avec un gain de taille d’environ 5 à 6 cm par an jusqu’à la puberté. Jusqu’à ce moment-là, garçons et filles grandissent de la même façon. L’écart se creuse après. 

Chez les filles, un pic de croissance survient au début de la puberté, en moyenne à l’âge de 10–11 ans. Ce pic dure jusqu’aux premières règles, moment où la croissance ralentit puis s’arrête, en général vers l’âge de 14–16 ans.

Chez les garçons, les premiers signes de la puberté et le pic de croissance qui l’accompagne sont un peu plus tardifs, survenant en moyenne vers 12 ans. Ce pic de croissance se maintient jusqu’à la fin de la puberté. Plus tardive, la croissance des garçons est plus ample et s’arrête en général vers 16–17 ans.

En cas de puberté précoce, les enfants grandissent plus tôt et paraissent donc grands pour leur âge chronologique. Mais leur croissance s’interrompt plus précocement, avec un risque de petite taille définitive. 

Le squelette grandit et mûrit

Pendant toutes ces années, le squelette s’allonge grâce à la multiplication des ostéoblastes (cellules générant de l’os) et se modifie également en profondeur. On parle de croissance et de maturation du squelette. 

Chez le jeune enfant, la partie des os longs (fémur, radius…) constituée de cartilage de croissance va croître en longueur, puis se calcifier et se souder pour devenir de l’os adulte. Ainsi, une simple radio du poignet permet à un spécialiste de la croissance d’observer le niveau de maturation de l’os et d’estimer (en dehors de toutes pathologies) l’âge de l’enfant avec une marge l’erreur de 3 à 6 mois. Certains enfants présentent une maturation osseuse trop rapide, qui entraîne en général une diminution de leur taille finale. 

Os et Croissance – Interview – 4 min 23 – Film extrait de la collection POM Bio à croquer (2013)

La croissance, valse d’hormones

De nombreuses hormones interviennent dans la croissance. La première porte bien son nom puisqu’il s’agit de l’hormone de croissance (GH). Elle est sécrétée au niveau de l’hypophyse (une glande située à la base du cerveau) essentiellement pendant le sommeil, sous l’influence de deux autres hormones, le GHRH activateur (Growth hormone releasing hormone) et la somatostatine inhibitrice. Une troisième hormone stimule la sécrétion de GH : la ghreline, produite au niveau de l’estomac. L’hormone de croissance agit surtout indirectement sur les cartilages. Elle est transportée jusqu’aux cellules du foie où elle vient se fixer sur des récepteurs spécifiques. Cela provoque la synthèse et la libération du facteur IGF‑1 (Insulin-Growth Factor 1) capable (entre autres) de stimuler la maturation et la croissance de l’os.

Les hormones sexuelles (testostérone, œstrogènes) agissent en synergie avec l’hormone de croissance au moment de la puberté. Elles augmentent la production de GH et donc celle d’IGF1. Elles déclenchent ainsi le pic de croissance et accroissent la vitesse de maturation des cartilages de croissance, puis leur ossification. C’est pourquoi, en cas de puberté précoce, la soudure prématurée des cartilages de croissance entraîne un risque de petite taille définitive . 

Schéma résumant l'action des hormones qui interviennent dans la croissance.
© Inserm / Frédérique Koulikoff

Les hormones thyroïdiennes (produites par la thyroïde, glande située au niveau du cou) jouent également un rôle important dans la croissance. Leur absence entraîne en effet des troubles importants : retard statural sévère, déficit intellectuel… Le dépistage néonatal systématique de l’hypothyroïdie congénitale est aujourd’hui pratiqué. Il permet la mise en œuvre très précoce d’un traitement qui permet lui-même le développement normal des enfants souffrant d’un tel déficit hormonal. 

D’autres hormones encore influencent la croissance, comme l’insuline ou la leptine. Mais, pour cette dernière, les mécanismes d’action sous-jacents ne sont pas clairement identifiés. 

Le métabolisme phosphocalcique (taux de calcium et phosphate dans l’organisme), et donc les hormones qui le régulent (Vitamine D, parathormone), jouent eux aussi un rôle dans la croissance puisqu’ils sont indispensables à une bonne physiologie osseuse. 

Les troubles de la croissance : des origines multiples

Maladies génétiques, hormonales, osseuse, cardiaques, pulmonaires, digestives, rénales mais également dénutrition : les origines des troubles de la croissance sont variées et chacune contribue à un pourcentage infime des problèmes de croissance observés dans la population générale. Plusieurs maladies, listées ci-dessous, ont un impact majeur en l’absence de traitement. Mais la plupart des retards de croissance restent aujourd’hui inexpliqués. 

Les maladies digestives 

Les maladies digestives peuvent retarder la croissance en créant des problèmes nutritionnels. C’est par exemple le cas de la maladie cœliaque, caractérisée par une intolérance au gluten, qui provoque des lésions intestinales et des problèmes de malabsorption. Elle est en général détectée chez les nourrissons, mais peut être diagnostiquée plus tardivement. Les maladies inflammatoires chroniques de l’intestin (MICI), maladies de Crohn et rectocolites hémorragiques, ont également une répercussion sur la croissance lorsqu’elles surviennent au cours de l’enfance.

Les cardiopathies

Les cardiopathies peuvent retentir sur la croissance. Néanmoins les progrès de la chirurgie du cœur améliorent le pronostic global des enfants et contribuent à restaurer la qualité de leur croissance.

Les maladies rénales

Les maladies rénales chroniques entraînent souvent un retard de croissance important. Mais là encore, une prise en charge précoce et l’administration de l’hormone de croissance permettent aux enfants de grandir davantage.

Les maladies métaboliques, inflammatoires, infectieuses, hématologiques et les cancers de l’enfant

Ces maladies peuvent également être à l’origine de troubles de la croissance. Des infections ORL à répétition peuvent par exemple avoir un impact. En outre, certains médicaments utilisés dans le traitement de ces affections (comme les corticoïdes) peuvent entraîner à eux seuls des troubles de la croissance.

Les maladies osseuses

Il existe des dizaines de maladies qui entraînent des anomalies de la structure de l’os et/ou du cartilage et perturbent le bon déroulement de la croissance. L’achondroplasie est la plus connue. Elle se manifeste dès la naissance par un nanisme à membres courts. Un autre exemple est celui de la pycnodysostose, maladie extrêmement rare qui confère petite taille et fragilité osseuse. Enfin, la mutation du gène SHOX (ou l’absence de celui-ci) altère le développement du squelette et la croissance. Il s’agit d’une indication reconnue pour le traitement par hormone de croissance.

Le retard de croissance intra-utérin

Le retard de croissance intra-utérin (RCIU), ou petite taille pour l’âge gestationnel (SGA), se caractérise par une taille et/ou un poids inférieurs aux normes pour le terme de la grossesse. La plupart des enfants concernés « rattrapent » naturellement ce retard de croissance dans les deux premières années de leur vie. Environ 10 % d’entre eux auront une taille inférieure au tracé bas de la courbe de croissance s’ils ne sont pas traités. Les enfants nés avec un RCIU associé à une maladie syndromique, telle que le syndrome de Silver Russell (anomalie épigénétique de la région 11p15.5-IGF2), restent généralement petits, sans croissance de rattrapage.

Des anomalies chromosomiques 

Les anomalies chromosomiques entraînent des maladies rares mais complexes, parfois associées à des troubles de la croissance. Le syndrome de Turner (absence ou anomalie d’un chromosome X) entraîne un retard de croissance important, avec une taille cible d’environ 140 cm en l’absence de traitement par hormone de croissance. Si ce dernier est instauré tôt, la patiente peut espérer gagner 5 à 10 cm de plus en moyenne. Le syndrome de Prader-Willi (altération partielle du chromosome 15 dans une région soumise à empreinte parentale) entraîne une obésité morbide et, entre autres, des problèmes de croissance. Le traitement par hormone de croissance est indiqué chez ces patients, représentant un intérêt non seulement pour leur croissance, mais aussi pour leur poids et leur tonus musculaire. La trisomie 21 génère également un problème de croissance.

Les maladies hormonales

Un déficit en hormone de croissance hypophysaire (Growth Hormone Deficiency ou GHD), parfois associé à d’autres déficits hormonaux, est relativement facile à diagnostiquer. Il représente l’indication idéale pour un traitement substitutif par hormone de croissance. Un déficit congénital en hormone thyroïdienne entraîne lui aussi un retard de croissance important : cette situation a pratiquement disparu en France grâce au dépistage néonatal et la prise en charge précoce qui en découle. Cependant, le dépistage néonatal tel qu’il est réalisé en France ne permet pas de diagnostiquer les hypothyroïdies d’origine hypophysaire ou hypothalamique. Enfin, en cas d’hypothyroïdie acquise après la naissance, le traitement par la thyroxine permet aux enfants de rattraper leur retard de croissance.

Les anomalies de la puberté

Un retard pubertaire entraîne un retard de croissance qui peut être rattrapé. A l’inverse, les pubertés précoces qui donnent une croissance d’abord « faussement » satisfaisante mais qui s’arrête précocement, entraînent un risque de petite taille à l’âge adulte.

La dénutrition

Un apport suffisant en calories et en protéines (acides aminés essentiels) est primordial pour une croissance normale. En outre, certains nutriments sont absolument indispensables à la croissance. C’est par exemple le cas du calcium et de la vitamine D, garant d’un bon métabolisme osseux. En cas de dénutrition, on observe une baisse des récepteurs de l’hormone de croissance au niveau du foie et une baisse de production d’IGF‑1 qui ne peut plus stimuler correctement la multiplication des cellules du cartilage, leur croissance et leur calcification. La maturation du cartilage de croissance ne peut être restaurée par l’injection d’hormone de croissance : seule une renutrition permet de rétablir une croissance correcte.


Obésité et croissance, des liens ambigus

L’obésité induit une croissance plus précoce chez les enfants, probablement via la surproduction d’insuline. De fait, les enfants obèses sont souvent plus grands que leurs camarades jusqu’à l’adolescence. L’obésité est néanmoins souvent associée à une puberté plus précoce que la moyenne. La croissance s’interrompt donc plus tôt. Au final, la courbe de croissance est donc avancée pendant l’enfance, mais la taille définitive des enfants obèses est en moyenne équivalente à celle de la population générale. 


Croissance – film d’animation pédagogique – 4 min 46 – Film extrait de la collection Recherche à suivre, une série de clips des années 90 

L’hormone de croissance, sous certaines conditions

Le fait de traiter l’origine d’une maladie rénale, cardiaque ou pulmonaire qui a un retentissement sur la croissance peut rétablir une évolution normale.

Pour traiter les problèmes hormonaux, plusieurs hormones synthétiques sont disponibles, comme : 

  • l’hormone de croissance GH pour les patients déficitaires, ou ceux nés avec un retard de croissance intra-utérin et qui n’ont pas normalisé leur croissance à 4 ans 
  • la thyroxine pour traiter les déficits en hormone thyroïdienne,
  • un analogue de la GnRH pour retarder une puberté trop précoce (avant l’âge de 8 ans pour une fille et de 10 ans pour un garçon)
  • des hormones sexuelles en cas de retard pubertaire 

Le choix du traitement approprié est réalisé en fonction de nombreux critères, par des spécialistes expérimentés (endocrinologues pédiatres). Le traitement de référence reste l’administration d’hormone de croissance. Depuis 1985, il existe une hormone de synthèse qui ne présente plus les risques de contamination associés à l’hormone humaine utilisée dans les années 80. Son usage est réservé à cinq indications précises, en plus du déficit en hormone de croissance (GHD)

  • petite taille pour l’âge gestationnel n’ayant pas rattrapé son retard à l’âge de 4 ans, 
  • syndrome de Turner
  • syndrome de Prader-Willi 
  • insuffisance rénale chronique
  • déficit du gène Shox 

Selon la Haute Autorité de Santé, en France, environ 6 000 enfants bénéficient de ce traitement dans le cadre de l’une de ces indications. 

Le traitement par hormone de croissance est souvent commencé à l’âge de 5 ou 6 ans. Il est maintenu jusqu’à la diminution de la vitesse de croissance après le pic de croissance pubertaire. Il n’a plus d’intérêt une fois que la maturation du squelette est achevée. Dans certains cas particuliers, il peut néanmoins être poursuivi à faible dose pour son bénéfice sur le métabolisme lipidique et glucidique, afin de prévenir d’éventuelles complications cardiovasculaires chez les adultes gardant un déficit profond en hormone de croissance. 

Il s’agit d’un traitement contraignant et coûteux, nécessitant des injections quotidiennes parfois difficiles à faire accepter aux enfants. 

Les enjeux de la recherche

Des biomarqueurs de croissance au conseil génétique

Les progrès effectués en génétique ont permis d’identifier un certain nombre de mutations associées aux troubles de la croissance. D’autres restent à découvrir. Ces avancées permettent de mieux comprendre les mécanismes de la croissance, hormonal, osseux… et d’améliorer le conseil génétique aux parents dont un enfant est atteint d’un trouble de la croissance. 

Un travail important porte également sur l’étude des interactions entre l’environnement et le génome, à l’origine de modifications épigénétiques. Ces interactions modifient l’expression de certains gènes et donc la quantité de certaines protéines impliquées dans la croissance. Ainsi, pour tenter de comprendre l’origine des retards de croissance intra-utérins et leur impact (notamment cardio-métabolique) à l’âge adulte, les chercheurs étudient l’effet des événements affectant la vie fœtale sur l’enfant à naître : dénutrition, troubles de la vascularisation placentaire (via les effets du tabac, de la génétique…), stress, exposition aux corticoïdes, aux perturbateurs endocriniens, à des toxiques divers, ainsi que les anomalies de régions du génome soumises à l’empreinte parentale et importantes pour la régulation de la croissance fœtale et postnatale... 

Les chercheurs tentent aussi de découvrir des biomarqueurs prédictifs de l’évolution de la croissance et de l’efficacité des hormones de croissance synthétiques. Cela permettrait de mieux cibler les enfants à traiter et d’affiner les modalités de traitement (dose, durée…). Pour cela, ils étudient le génome, mais également l’expression des gènes (transcriptomique) et le protéome (ensemble des protéines) de cohortes d’enfants présentant des troubles de la croissance. Ils espèrent ainsi mettre en évidence des gènes et des molécules associés à une bonne ou à une mauvaise réponse thérapeutique. Des résultats sont en cours de validation mais il faudra probablement attendre la découverte d’une association de plusieurs marqueurs significatifs avant d’être en mesure de prédire le succès d’un traitement ou la taille finale d’un enfant. 

Pour aller plus loin

Associations de patients