Antibiotiques : pourquoi certaines bactéries survivent au traitement ?

Pourquoi certaines bactéries ne répondent pas à une antibiothérapie in vivo alors qu’elles y sont sensibles in vitro ? Pour répondre à cette question, appliquée au contexte de l’infection urinaire à Escherichia coli, Bruno Fantin a lancé le projet Anoruti. Son hypothèse : des facteurs présents dans l’écosystème du site infectieux modifieraient le comportement des bactéries ou de l’antibiotique. Il veut découvrir lesquels pour éviter des prescriptions inutiles, susceptibles de participer à l’émergence d’antibiorésistance.

La guerre contre la résistance aux antibiotiques est déclarée. Elle fait l’objet d’un programme prioritaire de recherche national (PPR Antibiorésistance) financé par le troisième programme d’investissements d’avenir du gouvernement français, et dont le pilotage scientifique est assuré par l’Inserm. Dans ce contexte, Bruno Fantin* vient d’obtenir le financement** d’un projet baptisé Anoruti, dont l’objectif est d’identifier les différents facteurs impliqués dans le fait que certaines bactéries sensibles à un antibiotique in vitro ne répondent pas au traitement in vivo.

« Lors d’un traitement antibiotique, actif in vitro contre la bactérie responsable de l’infection, toute la population bactérienne au sein du foyer infectieux est exposée au médicament, mais avec un devenir variable, explique le chercheur. Certaines bactéries sont rapidement tuées alors que d’autres survivent, soit en devenant résistantes à l’antibiotique, soit en y restant sensibles. C’est ce paradoxe que nous essayons de comprendre. En effet, la persistance de certaines bactéries entraîne un risque d’échec du traitement ou de rechute ultérieure. De plus, elle contribue à l’émergence d’antibiorésistances, par sélection de bactéries qui ont acquis des mutations ou des changements métaboliques leur permettant d’échapper à l’effet de ces médicaments. Pour lutter contre ce fléau, il faut disposer de traitements efficaces tout de suite, et maîtriser tous les facteurs qui contribuent à leur efficacité. »

Des couples bactéries/antibiotiques étudiés dans différentes conditions

Pour ce travail, les chercheurs se concentreront sur un modèle d’infection urinaire à Escherichia coli, situation clinique très fréquente chez les femmes, source d’une grande quantité de prescriptions d’antibiotiques, avec un risque de rechute élevé. Ils analyseront d’abord in vitro les facteurs qui peuvent contribuer à la non-réponse bactérienne. Pour cela, ils utiliseront des couples antibiotiques/bactéries, placés dans différentes conditions expérimentales liées à l’environnement (pH, concentration en fer, présence d’un biofilm…), aux caractéristiques de l’inoculum bactérien (quantité de bactéries inoculées en début d’expérience, vitesse de croissance de la population bactérienne…) ou encore à l’exposition à l’antibiotique (en particulier la façon dont il se diffuse dans le milieu). Ils évalueront la réponse et les capacités de survie des bactéries dans ces différents contextes, proches de ceux observés en cas d’infection urinaire. « En routine au laboratoire, la sensibilité des bactéries aux antibiotiques est évaluée dans des conditions très strictes de pH, de richesse des milieux de culture et d’inoculum bactérien : cela permet que ces tests soient reproductibles et comparables d’un laboratoire à l’autre. Cependant, ces conditions peuvent varier considérablement in vivo, en fonction des caractéristiques de l’infection. Et c’est sans compter les problèmes de diffusion de l’antibiotique qui peuvent limiter l’interaction entre l’antibiotique et la cellule bactérienne au sein du foyer infectieux », souligne Bruno Fantin. Dans un premier temps, son équipe testera in vitro une centaine de souches d’E. coli représentatives, fréquemment retrouvées au cours de ces infections. Une dizaine de souches qui présenteront des réponses variables aux différents antibiotiques testés, selon le contexte environnemental et le milieu, seront conservées pour la suite du projet. Celle-ci sera conduite in vivo chez la souris, grâce à un modèle animal de pyélonéphrite, une infection urinaire qui gagne les reins. Elle visera à valider les prédictions réalisées in vitro.

Pour ce projet d’une durée de quatre ans, Bruno Fantin s’est entouré d’expertises variées et complémentaires. Au sein de l’équipe qu’il dirige avec Imane El Meouche, une dizaine de personnes y contribue : spécialistes en microbiologie, en modèles animaux, en génétique, en pharmacologie des antibiotiques, en automatisation des systèmes et en modélisation biostatistique… Il a également mobilisé deux équipes de l’institut Pasteur : celle de Gregory Batt, experte en automatisation des processus d’étude des couples bactéries/antibiotiques, et celle de Molly Ingersoll, spécialisée dans l’étude de la réponse inflammatoire et immune dans la paroi de la vessie, suite à une infection. Pour cette dernière, une des causes de non-réponse à un traitement antibiotique pourrait être liée à la possibilité pour les bactéries de se « réfugier » dans cette paroi. 

La démarche développée dans le cadre du projet Anoruti pourrait ensuite être déclinée à tout type d’infection ou aux nouveaux antibiotiques, grâce à des protocoles éprouvés. « A priori, chaque couple bactérie/antibiotique a ses spécificités, qui s’ajoutent à celles du foyer infectieux et de son écosystème », clarifie Bruno Fantin. Reste à les identifier. Il espère y parvenir, dans un premier temps dans ce contexte d’infection urinaire, avec peut-être à la clé une modification des recommandations de prise en charge, par exemple concernant les modalités ou durées de traitement des cystites. 

Notes :
*unité 1137 Inserm/Université de Paris/Université Sorbonne Paris Nord, Infection, antimicrobiens, modélisation, évolution (IAME) à Paris, dirigée par Erick Denamur
** dans le cadre de l’appel à projet de l’ANR Antibiorésistance : Comprendre, innover, agir