IDEA : Mieux comprendre l’activation des globules blancs pour une protection optimale

Au Centre de recherche sur l’Inflammation à Paris (unité Inserm 1149 / CNRS / Université Paris Cité), Loredana Saveanu dirige une équipe qui étudie les mécanismes de reconnaissance et d’adressage des antigènes par les lymphocytes T, une catégorie de globules blancs essentielle à la défense de notre organisme contre les infections. Elle y conduit notamment IDEA, un projet de recherche qui s’intéresse à un type spécifique de récepteurs présents à la surface de ces véritables « soldats » de l’immunité, et à leur implication dans la régulation de l’activité protectrice de ces cellules.

À l’occasion d’InScience, le festival de culture scientifique de l’Inserm, elle nous présente son parcours et les enjeux de ce projet prometteur subventionné par l’Agence nationale de la recherche, qui participe à une meilleure compréhension du fonctionnement global de notre système immunitaire.

Pouvez-vous nous présenter votre parcours ?

Loredana Saveanu : Je suis diplômée de l’Université de Médecine et Pharmacie de Cluj-Napoca, en Roumanie, mon pays d’origine, où j’ai soutenu ma thèse en 1996. Au cours de mon cursus, je me suis particulièrement intéressée à l’immunologie, une discipline qui me passionne encore aujourd’hui. À l’époque, cette spécialité n’était pas encore proposée aux internes dans mon hôpital d’accueil, à mon plus grand regret !

Après une courte période passée en médecine interne, j’ai finalement choisi de suivre une carrière dans la recherche en immunologie en France : j’ai démarré par un premier stage à l’Inserm en 2000, dans le laboratoire de Peter Van Endert, sur le campus de l’hôpital Necker. Cette expérience m’a beaucoup plu, j’ai eu la chance de notamment contribuer à des travaux consacrés à une famille spécifique d’enzymes capables de modifier le répertoire de peptides antigéniques dont le polymorphisme, soit la capacité à changer de forme ou de configuration, est associé à des maladies auto-immunes.

Souhaitant intégrer l’Institut de façon pérenne, j’ai préparé le concours de chargé de recherche, que j’ai réussi en 2005. Dix ans plus tard, encore une bonne nouvelle : je suis nommée lauréate du concours ATIP-Avenir, un programme conjoint entre l’Inserm et le CNRS qui donne la possibilité à de jeunes chercheurs de créer une équipe sur leur propre projet scientifique sur 3 ans. C’est ainsi que je suis arrivée au Centre de recherche sur l’Inflammation (CRI), dirigé par Renato Monteiro.

Depuis 2019, je dirige désormais mon équipe confirmée, toujours au CRI, où j’encadre le travail d’une ingénieure, d’une post-doctorante et de deux étudiants en thèse. Nous nous intéressons particulièrement à l’activation des lymphocytes T, un type de globules blancs, par des cellules spécifiquement dédiées à la « présentation » d’antigènes.

C’est un sujet vraiment passionnant car ces mécanismes sont au cœur de la protection de notre organisme face aux maladies infectieuses et aux tumeurs, mais sont régis par une régulation très fine. Une activation non-efficace nous expose davantage à ces pathologies mais à l’inverse, une sur-activation nous soumet au risque de réaction inflammatoire et aux maladies auto-immunes. Comme souvent en biologie, tout est question d’équilibre !

En quelques mots, en quoi consiste le projet IDEA ?

L. S. : Pour utiliser une comparaison imagée, notre système immunitaire est constitué comme une armée très organisée, dont les soldats sont les globules blancs : ils ont un rôle primordial d’auto-défense contre les virus, les bactéries et d’autres pathogènes. Une des armes redoutables de ce système bien rôdé est l’anticorps, une molécule qui a la capacité de reconnaître les corps étrangers, et qui est facilement reconnaissable par les macrophages (un type de globule blanc) et d’autres phagocytes, qui eux, sont chargés de les ingérer puis de les éliminer.

Ces « nettoyeurs cellulaires » sont en effet pourvus de récepteurs aux anticorps disposés à leur surface, appelés récepteurs aux immunoglobulines (FcRs). Ces derniers vont rapidement déclencher un enchaînement de modifications chimiques – communément appelé cascade de signalisation – à l’intérieur du macrophage, ce qui va le « transformer » en un redoutable guerrier capable d’absorber et de détruire les agents infectieux. Ensuite, il va émettre des signaux à d’autres protéines alliées, les cytokines, qui ont le pouvoir d’attirer et d’activer non seulement davantage de macrophages, mais aussi d’autres populations de globules blancs afin de complètement neutraliser les éléments indésirables.

Bien qu’essentielle, cette fonction doit être limitée dans le temps afin de ne pas enclencher une réponse incontrôlée de la part du système immunitaire. Ce phénomène porte un nom : l’orage cytokinique, qui est une forme de réponse inflammatoire exacerbée, et que l’on retrouve dans certaines infections ou maladies auto-immunes. Les FcRs sont donc des acteurs clés de notre corps pour réguler cette fonction vitale.

Avec le projet IDEA, nous tentons de mieux comprendre les mécanismes mis en jeu par ces récepteurs pour activer de façon optimale les globules blancs, et au sens plus large, développer nos connaissances sur le fonctionnement de notre système immunitaire.

À ce jour, quels résultats avez-vous obtenus ?

L. S. : Pendant longtemps, l’internalisation des anticorps par les globules blancs a été perçue comme une modalité d’arrêt des cascades de signalisation. Nos résultats préliminaires semblent indiquer que les récepteurs FcRs sont en réalité conservés dans des vésicules intracellulaires pendant plus d’une heure. De là, ils émettent des signaux chimiques qui continuent de renforcer l’activation du globule blanc. Ce mécanisme est intéressant : il expliquerait pourquoi l’action activatrice des anticorps est parfois amplifiée dans les macrophages et les cellules dendritiques

De plus, nous avons également identifié un marqueur lié aux vésicules intra-cellulaires dans lesquelles les FcRs sont internalisés. La délétion de ce marqueur, nommé « insulin responsive aminopeptidase » ou IRAP, perturberait la capacité des récepteurs à activer les globules blancs et protège l’organisme de réactions inflammatoires induites par les anticorps eux-mêmes, par exemple le choc anaphylactique ou la polyarthrite rhumatoïde, une pathologie inflammatoire qui entraîne des rhumatismes chroniques et des douleurs sur plusieurs articulations du corps.

À terme, les résultats obtenus dans le cadre du projet IDEA pourraient ouvrir la porte au développement de stratégies thérapeutiques pour bloquer l’émission de signaux par les FcRs une fois logés dans les vésicules intracellulaires, afin d’éviter de trop fortes réactions inflammatoires.

Quelles sont les principales satisfactions dans votre quotidien de chercheuse ?

L. S. : Elles sont nombreuses ! Évidemment, la construction d’un projet de recherche dans son ensemble, depuis la construction d’une hypothèse scientifique jusqu’aux validations expérimentales, me passionne. Parfois, l’obtention d’un résultat inattendu réoriente l’idée de départ… les plus belles découvertes sont souvent les plus inattendues, et je trouve cela fascinant !

Bien sûr, j’apprécie aussi les échanges avec mes collaborateurs, au laboratoire comme à l’extérieur, aux niveaux national et international. Le travail de recherche est et doit être collaboratif, et la science doit rester ouverte à tous ! J’adore partager les résultats et les outils que nous produisons et je suis fière lors de chaque publication de nos dernières avancées. Mais plus que tout, c’est probablement la réussite de nos étudiants qui me réjouit le plus : chacun d’entre eux qui poursuit une carrière dans la recherche est une satisfaction immense !