Pierre-Louis Tharaux : « Une nouvelle ère dans le décryptage des maladies rénales »

La recherche en néphrologie a longtemps été limitée aux situations extrêmes d’insuffisance ou de transplantation rénale. L’influence délétère de l’inflammation sur le fonctionnement du rein a peu été étudiée jusque récemment. Avec son équipe, Pierre-Louis Tharaux a modifié l’état des connaissances dans ce domaine : ses travaux ont mis en lumière le rôle clé de certaines cellules, les podocytes, dans la tolérance rénale à l’inflammation.

Pierre-Louis Tharaux

Comment les podocytes vous sont-ils apparus comme des cellules clés médiant l’inflammation et l’apparition de lésions rénales ?

Presque par hasard ! Lors de mon post-doctorat aux Etats-Unis, puis jeune recrue à l’Inserm de retour à Paris, j’étudiais différentes molécules de l’inflammation. J’avais observé que les animaux dénués de certains facteurs de croissance inflammatoires ne présentaient pas de lésions rénales. En étudiant ce mécanisme, j’ai montré que ces molécules inflammatoires n’étaient pas impliquées directement dans les lésions rénales : en réalité, elles activent une réponse inappropriée des podocytes qui se mettent à produire d’autres médiateurs et perpétuent l’inflammation destructrice. Les podocytes contrôlent normalement l’architecture glomérulaire, c’est-à-dire de la partie du rein qui assure l’épuration du sang et la production d’urine. Ils sont habituellement quiescents, mais se mettent à proliférer de façon anarchique sous l’influence de l’inflammation. Cette réponse inappropriée est responsable de lésions qui ne permettent plus au rein de fonctionner normalement. Les podocytes sont donc des acteurs clés de la tolérance rénale au stress inflammatoire ou métabolique. Ils constituent une cible de choix pour envisager d’améliorer le pronostic de nombreuses maladies du rein. 

Quelles sont les principales pathologies qui sont concernées par vos travaux ?

D’abord la glomérulonéphrite extracapillaire, une pathologie rare mais sévère, causée par différentes maladies ayant une composante inflammatoire auto-immune. Ensuite la hyalinose segmentaire et focale, qui touche plus de personnes. Mais les recherches continuent ! Avec la compréhension croissante du rôle de cellules du rein comme les podocytes, il y a une renaissance de la recherche autour des maladies glomérulaires. Nos travaux y ont contribué. 

Dans d’autres maladies glomérulaires, les données montrent que les podocytes ne prolifèrent pas mais meurent. Nous devons donc continuer à travailler pour comprendre ce qui distingue ces affections, et tenter de trouver comment permettre la survie fonctionnelle de ces cellules glomérulaires. 

Sur quels aspects le financement du Conseil européen de la recherche (ERC) a‑t-il facilité vos travaux ?

Les 1,5 millions d’euros qui nous ont été accordés en 2012 nous ont permis d’utiliser des méthodes génomiques et protéomiques innovantes, auxquelles nous n’aurions pu avoir accès sinon. Ils nous ont permis d’étudier les voies cellulaires qui régissent le comportement des podocytes. C’est ainsi que nous avons également identifié des mécanismes fondamentaux, dits d’autophagie, qui permettent de protéger certaines cellules du rein (podocytes, cellules vasculaires) dans certaines maladies fréquentes comme le diabète ou l’hypertension. 

Nous avons également trouvé que PPAR‑γ est un facteur de transcription clé de la protection des podocytes. En effet, en supprimant le gène codant pour PPAR‑γ chez la souris, les podocytes meurent et les lésions s’accumulent. Dans une perspective thérapeutique, nous avons aussi pu montrer qu’un agent stimulant l’activité de PPAR‑γ, comme la pioglitazone, permettait de rendre les podocytes tolérants à l’inflammation et prévenait ainsi l’insuffisance rénale. Cette piste thérapeutique doit être explorée. 

Le soutien par l’ERC aura été un formidable moyen d’accélération de nos découvertes. Il nous a permis de prendre des risques et de tester plus d’hypothèses dans un secteur dans lequel les données étaient encore insuffisantes. Sans oublier la synergie qui nous est offerte en échangeant avec les autres lauréats ERC. Ce financement est une reconnaissance pour une thématique porteuse et une prise de risque, c’est aussi un label de qualité et une meilleure visibilité qui nous permet de créer plus facilement des collaborations au niveau international. 

En savoir plus sur Pierre-Louis Tharaux et ses travaux

Pierre-Louis Tharaux codirige l’équipe l’équipe Signalisation rénale et vasculaire : du développement à la maladie au sein de l’unité 970 Inserm/Université Paris Descartes, Centre de recherche cardiovasculaire de Paris (PARCC).

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