Nathalie Vergnolle : « des bactéries alimentaires pour soigner les MICI »

À l’Institut de Recherche sur la Santé Digestive qu’elle a contribué à créer autour de son laboratoire, Nathalie Vergnolle traque les protéases, des enzymes intestinales dont la dérégulation est impliquée dans plusieurs maladies intestinales invalidantes. Elle a reçu pour cela le soutien du Conseil européen de la recherche (ERC).

Nathalie Vergnolle

Votre laboratoire s’intéresse aux protéases intestinales. En quoi ces enzymes sont-elles essentielles à la santé digestive ?

Les protéases sont normalement produites par le pancréas, et participent à la digestion au niveau de la lumière intestinale. Mais dans certaines pathologies intestinales, comme le syndrome de l’intestin irritable (SII), la maladie de Crohn, la rectocolite hémorragique ou même le cancer colorectal, ces enzymes semblent beaucoup plus nombreuses. De plus, elles sont actives directement dans les tissus, et plus seulement dans la lumière intestinale, et participeraient aux symptômes associés à ces affections. Grâce à l’important financement reçu du Conseil européen de la recherche en 2012 (ERC Starting Grant), nous avons pu mettre en évidence que le tissu qui tapisse l’intérieur de l’intestin (le tissu épithélial) est capable de sécréter lui-même ses propres protéases, ainsi que leurs inhibiteurs assurant un rôle fondamental dans le contrôle de leur activité. Nous avons ensuite pu décrire le rôle clé de certaines d’entre elles au niveau physiologique comme pathologique. 

Vous avez particulièrement travaillé sur la trypsine‑3 dans le syndrome de l’intestin irritable...

En effet, nous avons observé que la trypsine‑3 est surexprimée par la muqueuse intestinale des sujets atteints de SII. Pour la première fois, nous avons décrit son rôle dans l’augmentation de la perméabilité intestinale et sa capacité à agir comme un neurotransmetteur. En conséquence, la trypsine‑3 est impliquée dans l’activation de l’inflammation locale, mais aussi dans les symptômes douloureux et les ballonnements associés à cette maladie. C’est une découverte importante, car le SII a longtemps été présenté comme une maladie psychosomatique. La trypsine‑3 montre une altération directe des tissus du côlon. Cependant, on ne connaît pas d’inhibiteur naturel pour la trypsine‑3. Nous travaillons donc désormais à développer un inhibiteur de synthèse. 

L’élafine est en revanche une molécule naturelle que vous avez décrite comme anti-inflammatoire. Quelles sont les perspectives thérapeutiques de cette découverte ?

L’élafine pourrait constituer un traitement intéressant dans les maladies inflammatoires chroniques de l’intestin. En effet, si l’élafine inhibe l’action des élastases, une famille de protéases intestinales, sa concentration est particulièrement basse chez ces malades. En conséquence, les élastases réduisent la protection normalement assurée par le mucus intestinal. Elles augmentent la perméabilité intestinale et réduisent la fonction de barrière de l’épithélium, ce qui favorise l’activation du système immunitaire et l’inflammation. Nous développons actuellement une nouvelle approche thérapeutique : l’option la plus séduisante est d’introduire le gène de l’élafine humaine dans une bactérie alimentaire afin que la protéine soit délivrée directement au niveau des lésions intestinales. Aujourd’hui, le process de fabrication est en cours d’optimisation en lien avec une entreprise : la bactérie lactique choisie, habituellement présente dans les laitages, est génétiquement modifiée afin de produire l’élafine. Une autre modification a été apportée afin que la durée de vie de la bactérie ne dépasse pas celle du transit, et ne lui permette pas de survivre hors de l’intestin. 

Comment le financement européen a‑t-il contribué à l’avancée de ces travaux ?

Le financement accordé par l’ERC a accéléré le rythme de nos découvertes en permettant à notre laboratoire de passer de 3 à 9 chercheurs et cliniciens. Nous avons ainsi renforcé notre compétence et élargi nos recherches, au domaine du cancer notamment. Ce financement a aussi constitué un tremplin pour la reconnaissance de notre expertise qui a eu un effet boule de neige : d’autres équipes nous ont rejoint, et nous ont permis de constituer progressivement l’institut de recherche sur la santé digestive qui rassemble aujourd’hui près de 100 personnes. Nous formons désormais une structure spécialisée dans l’intestin et le foie, dont la pluridisciplinarité – microbiologique, physiologique, pharmacologique, génétique, neuro-immunologique – est unique en France. 

En savoir plus sur Nathalie Vergnolle et ses travaux

Nathalie Vergnolle dirige l’Institut de recherche sur la santé digestive (unité 1220 Inserm/Inra/Université Paul Sabatier/Ecole nationale vétérinaire, Toulouse) où elle est responsable de l’équipe Physiologie de l’épithélium intestinal.

Nathalie Vergnolle – interview – 2 min 35 – vidéo extraite de la série Rêves de recherche, rêve de chercheurs (2009–2010)

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