La recherche sur l’embryon : une pratique nécessaire et bien encadrée en France

Bioéthique – La recherche sur l’embryon est autorisée en France depuis 2013, sous conditions et sous contrôle de l’Agence de biomédecine. Elle doit s’exercer dans le plus grand respect dû à l’embryon lui-même, aux couples donneurs et pour éviter des dérives. Pierre Jouannet, membre du comité d’éthique de l’Inserm, dresse un état des lieux et évoque les questions éthiques en cours.

Pourriez-vous nous rappeler en préambule quel est le statut de l’embryon en France ?

Dans la loi, l’embryon n’a pas d’existence juridique. Seule la naissance d’un enfant confère un statut. Sur le plan éthique, la question du statut de l’embryon est une discussion sans fin qui est fortement influencée par les croyances et les convictions de chacun. Il semble raisonnable d’estimer que la perception que l’on peut avoir de l’embryon évolue en fonction de la destinée qui lui est promise. S’il s’inscrit dans un projet parental, alors il s’agit d’une personne potentielle comme l’évoquait le Comité consultatif national d’éthique il y a plus de 30 ans. En revanche, s’il n’y a plus de projet d’enfant, l’embryon ne sera jamais transféré dans l’utérus et ne donnera jamais naissance à une personne. Cela n’empêche pas de toujours traiter l’embryon avec le respect qui lui est dû compte tenu de son origine humaine, y compris quand son développement doit être interrompu ou quand il devient sujet/objet de recherche. 

Container à azote liquide (-196°C) et présentation des paillettes contenant des embryons humains congelés. Image réalisée lors de la mise au point d'un protocole expérimental visant à congeler des embyons humain, laboratoire de fécondation in vitro de l'hôpital Antoine Béclère, Inserm U187, Clamart.
Embryons humains congelés. Container à azote liquide (-196°C) et présentation des paillettes contenant des embryons humains congelés. (c) Inserm/ B Lassalle

Quelle est l’origine des embryons humains utilisés pour des travaux de recherche ?

Il peut s’agir des embryons issus de fécondation in vitro (FIV) qui présentent des anomalies précoces de leur développement ou ceux sur lesquels a été réalisé un diagnostic préimplantatoire (DPI) et qui sont porteurs d’une altération génique ou chromosomique. Ces embryons ne sont pas transférables dans l’utérus. Il peut s’agir aussi des embryons surnuméraires qui ont été congelés à l’occasion d’une FIV mais qui ne font plus l’objet d’un projet parental. Contrairement aux précédents, en principe ces embryons ne sont pas porteurs d’anomalies.

Dans tous les cas, le don d’embryons à la science n’est possible qu’avec le consentement du couple. Consultés chaque année, les couples qui n’ont plus de projet parental peuvent décider de donner les embryons cryoconservés à la science ou faire un autre choix. En 2014, 21 539 embryons ont ainsi été donnés à la recherche mais beaucoup moins sont effectivement utilisés. 

Quelles recherches sont possibles sur l’embryon ?

Il existe trois types de recherches, comme pour toutes les recherches biomédicales. La recherche fondamentale est destinée à comprendre le développement précoce de l’embryon et ses perturbations éventuelles. Certains travaux peuvent être effectués sur des modèles animaux mais, dès ce stade, il existe des différences entre la souris, le poisson zèbre et l’homme. La recherche sur des embryons humains est donc aussi nécessaire. 

La recherche préclinique consiste quant à elle, à développer de nouvelles méthodologies et procédures pour une éventuelle utilisation ultérieure à visée thérapeutique. Il peut s’agir de corriger des mutations géniques comme l’ont montré plusieurs travaux expérimentaux récents utilisant CRISPR-Cas9. On peut aussi chercher à améliorer les techniques de procréation médicalement assistées (PMA), par exemple en testant de nouvelles conditions de culture embryonnaire ou en identifiant des marqueurs biologiques permettant de caractériser les embryons ayant les meilleures chances de se développer. Rappelons qu’aujourd’hui les chances de succès de la FIV varient entre 17% et 30%, ce qui est faible, et des dizaines de milliers d’embryons sont inutilement conçus et transférés chaque année en France. Que ce soit pour les recherches fondamentales ou précliniques, les embryons ne sont pas transférés dans l’utérus et sont donc détruits. Ces recherches sont soumises à l’autorisation de l’Agence de la biomédecine (ABM).

Depuis 2015 la loi française permet en revanche que des embryons ayant fait l’objet d’une recherche à l’occasion d’une PMA soient transférés dans l’utérus, quand les conditions sont réunies. Ces recherches, assimilables aux recherches cliniques faites aux autres étapes de la vie, sont soumises à l’autorisation de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM).

Enfin, il est possible de prélever des cellules souches pluripotentes sur un embryon dans le but de mener des recherches fondamentales, précliniques ou cliniques, par exemple pour mettre au point de nouvelles méthodes de thérapie cellulaire. Mais dans ce cas, la finalité de la recherche n’est plus l’embryon lui-même. 

Comment sont gérés les embryons destinés à la recherche et quelle information est fournie aux couples donneurs ?

Les parlementaires avaient demandé en 2011 que cette question importante soit traitée par le gouvernement. Malheureusement rien n’a été fait depuis. Actuellement, les centres de PMA conservent les embryons destinés à la science. Ce n’est pas leur vocation. Les chercheurs manquent d’interlocuteurs et de données spécifiques pour avoir accès sereinement et de façon transparente aux embryons. Cela doit changer. 

Un centre dédié à la gestion de ces embryons pourrait par exemple être créé dans les principales grandes villes françaises. Cela permettrait de mieux caractériser les embryons et d’informer les donneurs sur les différents types de recherche envisagés afin qu’ils puissent s’exprimer sur celles auxquels ils consentent. On pourrait aussi souhaiter qu’une meilleure information soit donnée sur les résultats des recherches qui ont été réalisées. 

L’édition génomique qui consiste à modifier le génome à volonté s’invite dans la recherche sur l’embryon avec des essais à visée thérapeutique en Chine et aux États-Unis. Que penser de ces travaux ?

De nombreux organismes et institutions éthiques et scientifiques estiment que, faute de garanties d’efficacité et de sécurité suffisantes, il est actuellement inenvisageable de recourir à ce type d’intervention chez un embryon qui serait destiné à faire naître un enfant. C’est l’avis du comité d’éthique de l’Inserm. En 2011, la France et 28 autres pays ont par ailleurs ratifié la convention d’Oviedo qui interdit de pratiquer des modifications génétiques transmissibles à la descendance. Néanmoins, de nombreux pays n’en sont pas signataires comme la Chine, les États-Unis et plusieurs pays européens. 

Le diagnostic préimplantatoire permet déjà à des parents susceptibles de transmettre une maladie grave à l’enfant d’écarter les embryons porteurs de l’altération génétique en cause, mais il ne répond pas à toutes les situations : par exemple éviter la transmission de la maladie quand les deux parents sont homozygotes pour une pathologie récessive comme la mucoviscidose ou quand l’un des deux est homozygote pour une pathologie dominante comme la chorée de Huntington.

Dans ces cas bien précis mais exceptionnels, l’édition génomique pourrait offrir une solution aux couples concernés si elle s’avérait efficace et sûre. Il s’agirait alors de corriger la mutation redoutée chez l’embryon ou, encore mieux, au niveau des cellules germinales avant la fécondation, comme on envisage de le faire chez des enfants et des adultes avec la thérapie génique. 

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Embryon humain à huit cellules observé 72 heures après fécondation. (c) Inserm/ B Lassalle

Actuellement, les embryons peuvent être conservés 7 jours en France pour être étudiés. Dans d’autres pays comme au Royaume-Uni, c’est 14 jours. Pensez-vous qu’il faille allonger ces délais ?

À mon avis, le délai de 7 jours ne se justifie que si l’on se place dans une perspective de transfert de l’embryon dans l’utérus car son implantation dans l’endomètre survient 6 à 7 jours après la conception. Au-delà, la nidation ne peut plus se faire. 

Dans le cadre de la recherche fondamentale sur le développement embryonnaire, la limite de 7 jours est discutable, de même que celle de 14 jours qui avait été retenue par les Britanniques car elle correspond à la formation de l’ébauche du tube neural. Cette limite est actuellement rediscutée au Royaume-Uni. Les progrès scientifique récents suggèrent qu’il serait intéressant d’aller au-delà pour étudier le développement embryonnaire sur des modèles in vitro.

L’embryon reste pour certains « sacré ». Comprenez-vous cette position et les craintes suscitées par sa manipulation ?

Je respecte les convictions de chacun, mais l’objectif de ces recherches est notamment de permettre à des couples infertiles d’avoir un enfant et de faire en sorte qu’il soit en bonne santé. Quant aux craintes, de quoi s’agit-il ? d’eugénisme ? Dans ce cas, ce n’est pas la recherche elle-même qui doit faire peur, mais le mauvais usage qui pourrait être fait des résultats. 

Les dérives eugénistes sont très peu probables. Je ne dis pas que le risque n’existe pas, mais on peut le contrôler. À chaque fois que des avancées ont eu lieu en médecine de la reproduction, la peur de l’eugénisme a été brandie. Or, ce n’est arrivé ni avec le développement des premières banques de sperme en France, ni avec la fécondation in vitro, ni avec le diagnostic préimplantatoire et nous travaillons à ce que cela n’arrive pas avec les nouvelles techniques qui pourraient découler de la recherche. 

Certaines personnes et associations font tout pour bloquer la recherche sur l’embryon au niveau national, européen, avec par exemple des recours devant les tribunaux pour faire annuler les autorisations des projets de recherche délivrés par l’ABM. Résultat, il y a aujourd’hui très peu de financements et les projets sont difficiles à monter. Le climat n’est pas serein, voire défavorable pour les chercheurs. 

Pourtant si cette recherche est encadrée et pertinente scientifiquement, je ne vois pas de raison de s’y opposer, pas plus qu’à d’autres étapes de la vie. Aujourd’hui il est plus facile de mener des recherches sur des enfants vivants que sur des embryons ayant vocation à être détruits. 

Plusieurs pays autorisent la création d’embryons à des fins de recherche comme la Belgique, le Royaume-Uni, la Suède, la Russie, le Japon, etc.. Que pensez-vous de cette possibilité ?

Cette pratique est interdite en France mais sujette à discussions. Elle permettrait par exemple de disposer d’embryons présentant une mutation génétique particulière pour tenter de trouver les moyens de la corriger. Ces embryons pourraient être créés à partir de gamètes de personnes porteuses de la mutation et qui auraient été données pour la recherche. Des expérimentations de ce type ont déjà été entreprises aux États-Unis et en Chine. L’autre possibilité qui est en train d’apparaître est la fabrication d’embryons dits « synthétiques » car constitués à partir de cellules souches pluripotentes de différentes origines. Cette approche a déjà été utilisée en recherche fondamentale pour étudier les interactions entre les différents tissus et organes qui se forment pendant le développement embryonnaire.